À la rencontre du peuple syrien

A Alep, les volontaires effectuent hebdomadairement des donations auprès des chrétiens les plus pauvres pour subvenir à leurs besoins. Une mission nécessaire et vitale car la guerre et les sanctions ont appauvri le peuple syrien qui, de plus en plus, demande l’aide des associations.

Quand j’ai découvert Alep, je n’ai pas vu de traces de la guerre. Ce n’est qu’après, lors des chantiers et des visites que j’ai vu le visage défiguré de cette ville millénaire. « La guerre civile, m’a confié une archéologue syrienne, a fait bien plus de mal à Alep que tous les autres drames de l’histoire ». Le souk est une suite de rues en ruines et le vieil Alep montre sa robe déchirée, ses haillons de pierre et de bois, uniques souvenirs de son ancienne splendeur. Alep libérée, le cauchemar devait s’arrêter : plus de proches perdus, plus d’obus sur les maisons, finie la peur de ne pouvoir rentrer chez soi. Mais la Syrie devait rejoindre le destin du Liban. Une autre histoire, d’autres origines mais un seul et même résultat : une crise qui saigne lentement les peuples à blanc. Après les balles et les coups de mortier sont tombées les sanctions. Les conséquences sont implacables : baisse de la valeur de la monnaie, hausse des prix, chômage de masse… Le peuple syrien sort de la guerre pour se réveiller dans la misère.

 

Grâce aux différentes Eglises d’Alep, nous allons à la rencontre de ceux qui ont besoin d’aide. Ainsi, toutes les semaines, les volontaires de SOS Chrétiens d’Orient réalisent des donations de colis d’hygiène et alimentaires, de batteries ou de LED…

Tous les mardis et jeudis, avec les volontaires syriens, ils parcourent la ville pour distribuer des couches. Pour vous, cher lecteur, cela est ridicule. Mais vous avez tort car cet article coûte très cher en Syrie. Handicapés et personnes âgées sont bien souvent dans l’impossibilité de s’en procurer.

Soeur Valentine est d’origine libanaise et vient de la Congrégation des Sœurs des Saints-Cœurs. Il y a un peu plus de vingt ans, envoyée à Tartous, en tant qu’infirmière pour soigner les malades de la tuberculose, elle quitte sa terre natale pour la Syrie. A nouveau en 2007, elle laisse tout derrière elle pour la maison de retraite de Homs où elle passe des années paisibles.

 

Mais début 2011, les manifestations gagnent rapidement la ville, qui devient la « capitale de la Révolution ». La maison de retraite ne tarde pas à se retrouver dans l’épicentre des affrontements.

 

Comme les 47 personnes âgées de son établissement, Soeur Valentine n’est pas préparée à vivre au milieu des combats et des morts mais elle ne cesse de prier et de répandre le bien autour d’elle. Durant le siège de Homs, qui dure de février 2012 à 2014 et au terme duquel l’armée arabe syrienne reprend la ville, l’édifice est durement touché par les bombardements. Son toit, ses vitres, sa terrasse sont soufflés.

 

Sœur Valentine et ses résidents se retrouvent donc pris en otages dans ces affrontements opposant les terroristes, d’un côté du bâtiment, et l’armée arabe syrienne de l’autre. Des blessés de guerre lui sont fréquemment confiés pour se faire soigner mais les soins médicaux sont difficiles à administrer. À l’absence d’électricité et d’eau s’ajoute la difficulté, voire l’impossibilité, de se procurer des médicaments et du matériel médical de base… Malgré toutes ces épreuves, elle n’éprouve pas de peur : Dieu est là pour elle.

Après avoir écouté ce récit poignant, nous montons dans les chambres à la rencontre des personnes âgées. Le premier étage est occupé par les hommes, tandis que les deuxième et troisième le sont par des femmes. Je m’assoie près de Suzy, une résidente de quatre-vingt ans, parlant très bien le français. Cela se révèle d’une réelle utilité, particulièrement lorsque Bushra, notre traductrice syrienne, est à l’autre bout de la pièce occupée avec d’autres volontaires.

 

Le sourire de Suzy est communicatif et s’illumine lorsqu’elle commence à me parler de ses enfants. « Tu me fais penser à ma fille ! Je ne l’ai pas revu depuis dix ans. » Suzy a quatre enfants. L’ainé est docteur à Toulouse, le deuxième est ingénieur en Allemagne et sa fille a émigré au Canada. Le dernier est resté en Syrie mais elle n’a pas de nouvelles de lui depuis le début de la guerre. Elle s’effondre en évoquant son nom. « On m’a dit qu’il est mort mais je m’accroche à l’espoir de le revoir un jour, entrer dans cette chambre et me dire « bonjour maman ». Ses enfants ont tous fuit la Syrie au début de la guerre, à la quête d’un avenir meilleur pour eux et leurs enfants. Elle a souvent des nouvelles, mais ils ne sont pas revenus la voir depuis dix ans.

 

J’habite au Liban depuis un an et après avoir rencontré beaucoup de Libanais, je sais à quel point la famille est importante. Il en est de même pour les Syriens et pour tous les orientaux en général. Elle constitue le pilier de leur vie et lorsque nous abordons le sujet de l’émigration, je sens que la déchirure est profonde. Ils sont partagés entre l’avenir de leurs enfants, qui sera toujours meilleur ailleurs qu’en Syrie et le besoin d’être ensemble. Le problème est qu’une fois les frontières franchies, les Syriens ne reviennent plus. Ils laissent donc derrière eux des parents seuls, qui attendent avec impatience le coup de téléphone du dimanche soir pour avoir de leurs nouvelles.

 

« J’habitais à Alep avant la guerre. J’avais une vie magnifique, une grande famille et j’aimais recevoir du monde. Même quand la guerre a explosé et que la ville était occupée, je suis restée. Mes enfants eux sont partis. Mais je n’ai jamais cessé de croire en Dieu et de prier Saint Charbel. » Il y a un an, un accident l’a amené dans cette maison de retraite pour y être soignée. Elle a dû quitter sa ville, ses repères mais elle sait que c’est pour son bien. « Les conditions sont parfois compliquées, surtout avec les grosses chaleurs qui assomment la Syrie l’été. L’électricité coupe très souvent mais je suis habituée. »

 

Je suis impressionnée par son histoire et par son opiniâtreté à me remercier à longueur de temps. « Merci à tous de venir nous rencontrer, d’écouter nos histoires et de nous remémorer ces moments familiaux si chers à nos cœurs. »

 

D’un côté Sœur Valentine a donné sa vie à Dieu à l’âge de 18 ans. Elle a quitté sa famille et la campagne libanaise pour rentrer dans un monastère vers Saida. Elle ne connait pas ses petits frères. Dieu l’a envoyé sur terre pour aider… Il l’a « enveloppé de son manteau pour la protéger ».

 

De l’autre Suzy a donné sa vie pour ses enfants, qui par la suite ont quitté le pays en quête d’une vie meilleure. Moi qui suis très attachée à ma famille, je ne peux pas imaginer la souffrance de voir ses proches partir et ce du jour au lendemain. Rien n’est préparé à l’avance, tout est fait à la dernière minute. Ça commence par un ami, puis une sœur, puis un enfant… On ne peut pas leur en vouloir mais ça blesse.

 

A travers ces visites, je vois les conséquences de la guerre non pas au niveau matériel mais au niveau psychologique. Certes Suzy n’a pas été touchée physiquement mais elle a perdu ce qu’elle avait de plus cher : ses enfants…

Prudence et Maxime, volontaires en Syrie