Un pays ravagé qui se bat malgré les séquelles

Le 20 septembre 2022, mon avion quitte l’aéroport d’Orly pour m’emmener dans un pays en état de guerre, déserté par l’ambassade française : la Syrie. Pourtant, malgré une pointe d’adrénaline qui fait battre mon cœur un peu plus fort, je me sens étrangement confiante. J’ai hâte de voir de mes propres yeux ce pays que l’on dit ravagé par la guerre civile, et qui est, aujourd’hui surtout, oublié par l’Occident.

À mon arrivée au Levant et après un court passage à Damas, Ramez, le chauffeur émérite de l’association, me conduit à Homs où je vais passer mes premières semaines de mission. Cette ville qui constitue un carrefour des axes qui relient Damas à Alep, et le site de Palmyre à la Mer Méditerranée, étaient, avant la guerre, la troisième ville la plus peuplée de Syrie. Désormais, les immeubles troués par les impacts de balles et les explosions d’obus, sont presque tous vides. À Homs, plus de cinéma ni de théâtre, plus de musée ni de bibliothèque, plus de métro ni de trains, ni d’essence pour les voitures. D’ailleurs tout est rationné : le gaz, l’eau, l’électricité, le fioul pour l’hiver, et même le pain et le sucre.  Comment vivre dans de pareilles conditions depuis tant d’années ?

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Après avoir pris connaissance des règles de sécurité liées à la mission, je peux enfin me mettre au service des Syriens. Les besoins me semblent énormes et mes capacités bien faibles. Mais le sourire des Syriens me donne le courage de tout affronter.

Les missions des volontaires sont variées et c’est cela qui me plaît. Entre la reconstruction d’appartements, les visites dans les orphelinats, les maisons de retraite et les hôpitaux, et les cours de français, chacun trouve sa place et met ses capacités à profit. Le travail de groupe nous enrichit, et nous pouvons toujours compter sur les forces des volontaires en cas de passage à vide.

 

Nos actions auprès des plus démunis se poursuivent. Chaque jour, de nouvelles rencontres illuminent mon quotidien et je tisse de solides liens avec les familles syriennes. C’est notamment le cas avec les jeunes et les enfants, plus spontanés que les adultes. Il est facile de nous réjouir ensemble avec un ballon ou un peu de musique. Nos cours d’arabe nous sauvent d’ailleurs la vie, car même si nous sommes habituellement accompagnés d’un volontaire syrien capable de traduire les échanges, il est toujours plus agréable de communiquer directement. 

Après plus d’un mois de mission, Waël, chef de mission en Syrie, annonce notre départ prochain pour Damas. La capitale, enfin ! Je suis heureuse de voyager et de découvrir cette ville millénaire, malgré les bons moments passés à Homs. Mais quitter les personnes que le Seigneur a mis sur ma route, cela me fait mal au cœur.

Dans la capitale, tout est vivant. Les gens s’activent, les magasins sont toujours ouverts, et les bars sont remplis de clients. Notre maison, située dans le vieux Damas, dans l’ancien quartier juif de Bab Touma, est accueillante et je m’y sens tout de suite bien. Construite sur deux étages, elle offre une particularité : son rez-de-chaussée est situé au-dessous du niveau de la rue, indice d’ancienneté de cette demeure qui date sûrement de l’époque mamelouke. La maison est composée d’une cour intérieure, autour de laquelle sont desservies plusieurs pièces. Avec les filles nous dormons à l’étage, dans une petite chambre avec salle de bain. Pietro, l’unique garçon, a le luxe d’avoir sa propre chambre.

Le vieux Damas est magnifique. Dès les premiers jours, nous sortons nous promener dans le souk Al Halil, à moins de quinze minutes de la maison. Nous habitons également non loin de la Grande Mosquée des Omeyyades. En plus de la chance d’habiter près de ces lieux iconiques de Syrie, les commerçants de notre rue sont adorables. Je pense particulièrement au boucher de la rue Al Mastaquim qui, malgré un anglais approximatif, nous accueille toujours avec le sourire et nous propose de l’aide pour faire nos courses dans la rue. 

 

La capitale m’offre de nouvelles surprises, de nouvelles rencontres, de nouvelles possibilités d’aider la population. J’apprécie particulièrement les visites dans l’orphelinat de Saint-Grégoire, où je fais notamment la rencontre d’Ibrahim, jeune orphelin de trois ans (même s’il vous dirait quatre, un sourire polisson au coin des lèvres). Cet enfant, avec ses yeux pétillants et son manteau trop large, me fait sourire le cœur. Je ne connais pas son histoire, mais ce n’est pas ce qui importe. Sa joie de vivre et sa gaité me donnent envie de me lever le matin, malgré la fatigue et le froid de l’hiver qui s’installe. 

Mon souvenir de Syrie le plus vivace est sans doute la visite rendue aux sœurs contemplatives du monastère Saint-Jacques le Mutilé. Basée à plus de 1000 mètres d’altitude, la communauté du monastère de Qara est l’héritière des enseignements des Pères du désert et des maîtres du Carmel. Elle a à cœur de vivre de l’esprit des premiers monastères de l’Orient. Constituée de huit sœurs, de deux prêtres, ainsi que de trois oblats, la communauté accueille également une famille dont la situation compliquée ne permet pas aux enfants de vivre convenablement.

Une jeune fille nommée Rebecca et un jeune orphelin, Firas, vivent aussi avec les sœurs depuis l’âge de sept ans, qu’ils considèrent désormais comme leur famille.

Au monastère, je trouve tout de suite ma place. Bien que fort simples, les religieuses sont aux petits soins, n’hésitant pas à nous prêter écharpes, gants, et manteaux en piochant dans les réserves de donations, alors qu’elles-mêmes manquent de tout. Leur bienveillance et leur douceur me touchent énormément. Avec elles, nous participons à la liturgie des heures, qui commence tôt le matin. Dès la messe dite et les matines terminées, nous débutons les activités.

Nous assistons la communauté dans la cueillette d’olives, ainsi que dans le rangement et le ménage du monastère. Nous aidons également à l’herboristerie, dans la préparation des sachets de tisane qui seront vendus.

La pièce est très agréable : c’est une sorte de verrière où sèchent des grappes de raisin suspendus au plafond, ainsi que toutes sortes de plantes médicinales. Dans un angle de la pièce, de grands réservoirs en plastique bleu contiennent de l’arak en fermentation. Les frères ont installé une distillerie « home made » pour préparer cet alcool. Ils nous en font goûter, et c’est franchement un tort boyaux, surtout à dix heures du matin. La pièce embaume le mélange des herbes aromatiques, l’anis qui émane de l’arak et le sucre des raisins.

J’aime y passer du temps. Il y fait moins froid que dans le reste du monastère. Les matinées sont longues et fatigantes ; elles se terminent à quinze heures avec un temps d’oraison, suivi par le déjeuner, souvent une bouillie de lentille ou de boulgour avec des herbes et des épices, et quelques bouts de foie lorsque nous sommes chanceux.

 

L’après-midi, nous suivons Théophane, un jeune homme en quête de guérison, garder les moutons dans les collines désertiques derrière le monastère. À Qara, il fait froid et la nuit tombe très rapidement. Heureusement, les bergers nous offrent du thé bouillant, boisson très prisée dans ce désert. Ces quarantenaires bourrus semblent heureux de notre présence, même s’ils se demandent sûrement ce que viennent faire cinq européens dans ce coin perdu de Syrie. Une fois la traite de lait effectuée et les moutons parqués entre les quatre murs de parpaing qui leur servent d’étable, nous rentrons au monastère. 

Vient alors l’heure des vêpres, puis celle de la « récréation » : un moment de partage autour d’une maigre collation à base de pain pita, de pommes-de-terre froides et de fromage fait maison qui fait office de dîner. Ce moment est celui que je préfère. Il est l’occasion de tous nous retrouver, et de nous raconter les anecdotes de la journée de travail.

Serrés les uns contre les autres dans la petite salle, nous nous tenons chaud. Des sœurs discutent en raccommodant des bas déchirés, le Père se confie à voix basse sur l’arrivée des terroristes au monastère durant la guerre, pendant que Rebecca montre ses dessins dans un carnet de feuilles canson. Firas, le jeune orphelin maintenant âgé de quatorze ans, fait rire la communauté en distribuant du thé. Tout est paisible. Au moment de se séparer pour la nuit, les deux Pères font le tour de la pièce en traçant de leur pouce une croix sur le front de chacun, pour que le Seigneur nous garde jusqu’au lever du jour.

Cette mission en Syrie a été un réel rayon de soleil dans ma vie. Comme souvent, j’ai reçu bien au-delà je ce que j’aurais pu imaginer, et j’ai inscrit dans mon cœur des noms et des visages que je n’oublierai jamais. Les chrétiens d’Orient m’ont communiqué leur courage et leur espérance. Ils ont envie de se battre, malgré les lourdes séquelles de la guerre. 

« Mafi mushkile », il n’y a pas de problème.

 

« Ne vous inquiétez pas du lendemain ; car le lendemain aura soin de lui-même. À chaque jour suffit sa peine. »  Matthieu, 6 :34 

Victoire, volontaire en Syrie

Votre responsable de pôle

Iseult Béchaux

Responsable des volontaires

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