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Survivre

La situation au Liban est affolante. Depuis les manifestations initiées en octobre 2019 contre la tentative de taxe sur l’application de messager Whatsapp émise par le gouvernement de Saad Hariri, le pays est en chute libre. Les mots sont forts, mais cela serait mentir que de tenter d’édulcorer la situation: les Libanais sont à cran et le gouvernement est incapable de trouver des solutions pérennes pour améliorer la situation.

 

Que ce soit d’un point de vue social, économique, politique ou sanitaire, le Liban subit une crise généralisée, et les Libanais en sont les victimes directes. Concrètement, où en est le Liban en cette fin d’août 2021?

Cela fait maintenant 6 semaines que je suis au Liban. Certes, je ne suis là que depuis peu, mais en quelques semaines, j’ai pu tout au moins me rendre compte des difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontés les Libanais. En tant que volontaire de SOS Chrétiens d’Orient, nous rencontrons des personnes d’horizon varié: des hommes et des femmes, des enfants et des personnes âgées, des Libanais qui vivent du Sud au Nord. En arrivant au Liban mi-juillet, je ne m’attendais pas à trouver un pays autant en difficulté. Ce qui me frappe le plus, ce sont les pénuries : les pénuries d’électricité, d’essence, d’eau, ainsi que le manque d’accès à des produits de première nécessité tels que les médicaments, le lait pour bébé, et parfois même, le pain.

 

Tout d’abord, l’électricité. Ici, il faut s’estimer heureux d’avoir quelques heures d’électricité par jour. Vous n’imaginez pas combien de fois par jour nous entendons « fi karaba ! » (« il y a de l’électricité! ») ou bien, et le plus souvent malheureusement,« mafi karaba ! » (« il n’y a plus d’électricité »). Un black-out s’étend alors sur le Liban. Les Libanais sont plongés dans le noir. Ils ne peuvent plus allumer leur ventilateur, ils ne peuvent plus brancher de machine à laver et encore moins recharger leurs téléphones. Le pire étant que ces coupures sont très aléatoires. Une coupure d’électricité peut subvenir à tout moment de la journée, et ce pendant de longues heures.

S’ajoute à cette pénurie d’électricité, la pénurie d’essence.Dans un pays où la voiture est le seul moyen de transport, une panne d’essence généralisée est dramatique pour la population. En effet, au Liban il y a très peu de transports en commun. Les quelques trains, pourtant en circulation pendant le protectorat français (1920-1943), sont aujourd’hui totalement hors service. De plus, comme la montagne occupe une très grande partie du territoire, la voiture est le moyen de transport quasi exclusif des Libanais. Ainsi, la hausse du prix du pétrole de 70% lundi dernier – suite à une levée partielle des subventions sur les carburants – représente un poids énorme sur les revenus des Libanais. Les files d’attente pour remplir son réservoir sont interminables et les Libanais n’hésitent pas à faire des barrages pour forcer les camions citernes à mettre de l’essence dans les stations services. Ces barrages engendrent souvent de gros tumultes comme le drame de l’explosion du camion citerne le 15 août dans la région d’Akkar qui a causé la mort d’au moins 28 personnes.

 

Nous aussi sommes confrontés à ce problème ! L’association étant présente dans plusieurs régions du Liban, comme au Sud vers Saïda et Lebaa, Tripoli, ou encore Qaa à la frontière syrienne, il nous est actuellement difficile de nous rendre sur place et de continuer à œuvrer pour les projets en cours. Les volontaires doivent se relayer régulièrement, ce qui nécessite de l’essence et donc beaucoup de patience !

Pour mieux vous faire saisir la situation hautement sous tension de ces derniers mois, j’ai profité de la cérémonie de commémoration du 4 août 2020 au port de Beyrouth pour rencontrer un maximum de Libanais qui m’ont expliqué comment ils vivent la situation, ou plutôt comment ils survivent dans ce contexte.

 

J’y ai rencontré Jad, un jeune homme qui fêtait ses 21 ans en ce 4 août 2021, une bien triste date pour un anniversaire… Autour de nous, la foule scande « Saoura ! Saoura ! » (« Révolution ! Révolution ! »). Les Libanais estiment que la situation est injuste et qu’ils ne sont que les victimes d’un gouvernement qui ne les écoute pas. « Les conflits régionaux et le grand nombre de réfugiés syriens et palestiniens aggravent encore plus la situation sociale et économique. La classe politique est corrompue jusqu’à la moelle et les dirigeants ne cherchent qu’à servir leur propre intérêt et celui de leur communauté, au détriment des Libanais dans leur globalité. Sans perspective aucune, nous pensons tous à nous installer à l’étranger,  » là où l’herbe est plus verte.

Pour Joanna, une Libanaise d’une quarantaine d’années, le problème de fond est tout autre ! « Le problème au Liban, c’est que ce qui nous définit, ce n’est pas notre pays mais notre religion. Un Libanais vous dira d’abord qu’il est chrétien, musulman ou druze, bien avant de vous dire qu’il est Libanais. »

 

Un autre problème majeur du Liban concerne l’école. Entre la crise du coronavirus et la crise économique, cela fait bientôt deux ans que la plupart des enfants ne sont pas retournés sur les bancs de l’école. Si certains parents ont fait en sorte de continuer à assurer l’éducation de leurs enfants à la maison, sans électricité et donc sans ordinateur pour suivre les cours en ligne, les devoirs passent vite à la trappe. Depuis le 4 août 2020, 1,2 million d’enfants au Liban ne sont pas scolarisés. Le niveau scolaire s’écroule. A Beyrouth, nous sommes chargés de donner des cours à des enfants pauvres du quartier de Bourj Hammoud. Je me souviens par exemple d’une petite fille réfugiée syrienne de 12 ans, qui ne savait ni lire ni écrire. Cette jeune fille n’est pas un cas isolé.

Pour contrer la crise et aider les les familles pauvres, les donateurs de SOS Chrétiens d’Orient financent les frais de scolarisation de nombreux élèves, et également les salaires des professeurs qui ne sont plus payés à cause de la crise. Plus précisément, SOS Chrétiens d’Orient a accordé 26 950€ à l’école de Dar Baachtar, 29 470€ à celle de Beithabbaket et 8 840€ à celle de Baalbeck.

 

Enfin, le problème du manque d’accès aux biens de première nécessité tels que les produits d’hygiène, le lait infantile et surtout les médicaments est particulièrement grave. Trop chers certes, mais surtout introuvables ! Même les associations avec lesquelles nous travaillons peinent à en dénicher pour les redistribuer. A Tripoli, l’association « la Table du Love », qui offre des colis alimentaires à des familles du quartier et qui leur prépare un repas chaud 6 jours sur 7, va être désormais obligée de rajouter des produits d’hygiène et du lait pour bébé dans les colis. Plus de 70% des Libanaises n’ont pas les moyens de s’acheter des protections hygiéniques. Mais ce qui manque par-dessus tout, ce sont les médicaments, contre la tension, contre le diabète, pour enrayer des problèmes cardiaques. Nous en prenons conscience lors de nos visites aux familles les plus pauvres. Chaque fois, les mêmes demandes : des médicaments.

 

A Tripoli, je suis entrée par hasard dans une pharmacie. A l’origine, j’y allais tout bonnement pour leur demander de me faire de la monnaie. A l’intérieur, il n’y avait plus rien, mis à part des masques contre le covid et du désinfectant… Certains Libanais ont tenté de faire des stocks quand ils le pouvaient, mais pas tous. La très grande majorité est ainsi confrontée à un besoin vital d’accès aux médicaments. Oui, ici on parle clairement de vie ou de mort. Pour preuve…

Fin juillet,  je fais la connaissance des frères maronites au monastère maronite de Mayfouk, Au moment du café, nous discutons avec l’un des frères de sa famille et de la situation du pays. Son oncle, pourtant encore jeune, est décédé le mois dernier parce qu’il ne trouvait plus les médicaments nécessaires à sa santé. Il est inquiet. Son père se retrouve dans la même situation aujourd’hui: d’ici quelques semaines, il n’aura plus accès à ses médicaments pour ses poumons, qu’il doit pourtant prendre quotidiennement.

 

« Les Libanais ne méritent pas ce qui leur arrive ». Cette phrase sort de la bouche de Karim Kanaan, un Libanais que nous avons rencontré à Jezzine. Ayant fait ses études à l’école des Mines à Paris, il est ingénieur de formation. Mais aujourd’hui face au contexte, il vend des fraises: « Vendre des fraises me rapporte aujourd’hui plus que de vendre des permis de construire ». Je vous laisse avec cette phrase de Karim qui en dit long sur la situation de crise que traverse le Liban. Un pays pourtant si beau, et peuplé d’hommes et de femmes qui ont un véritable sens de l’hospitalité.

 

En conclusion, je vous conseille d’acheter les fraises de Karim, elles sont excellentes.

Hortense, volontaire au Liban