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Quand l’horreur de la misère n’a d’égal que la gentillesse de ceux qui la vivent

Depuis 2019, le Liban s’enfonce dans une crise économique et financière qui a fait exploser la pauvreté, une situation encore aggravée par l’explosion du port de Beyrouth il y a un an, le 4 août 2020. La plupart des Libanais ne survivent désormais que grâce à la débrouille et à la solidarité, beaucoup ont régulièrement recours aux aides humanitaires.

En ce mois de septembre 2021, nous poursuivons les évaluations des besoins des familles les plus pauvres de Tripoli. Un moyen pour nous, volontaires, de nous rendre directement compte des vies et des destins des personnes que nous aidons.

 

Ce matin-là, malgré la pénurie d’essence, nous trouvons un taxi et partons direction le centre de Tripoli. Pas le choix, nous vivons à une heure à pied de l’immeuble à visiter. Cette fois-ci la visite est particulière. Nous avons été informés par la directrice d’un centre d’aide alimentaire que l’une des familles qu’elle suivait avait subi un incendie.

 

Leur situation déjà critique s’était encore dégradée, nous devions nous y rendre d’urgence. Après quelques minutes de voiture, un jeune garçon, d’environ 13 ans, nous attend sur le trottoir afin de nous accompagner jusqu’à son domicile. Son sourire me frappe. Il est heureux de nous voir, un peu gêné par le motif de notre visite mais enjoué de rencontrer des Européens. Je remarque pourtant directement que, malgré son sourire, ses habits et ses chaussures sont trop petits et abîmés.

Il nous mène jusqu’à chez lui et, à mon grand étonnement, nous fait descendre dans le sous-sol d’un immeuble. Arrivé au rez-de-chaussée, j’aperçois en contrebas une porte entre-ouverte, une légère lueur en sort, comme un halo, à peine visible, et au même moment je suis pris de nausées. Une odeur de pourriture nous empli les narines.

 

A la porte d’entrée, une femme de 50 ans, nous accueille et nous fait asseoir sur de vieux canapés inconfortables d’un jaune délavé. Ils doivent avoir l’âge de la maîtresse de maison. Ils sont branlants, les pieds pourris. Je crains de casser celui sur lequel je m’assois.

 

Nous nous réunissons dans le salon avec les traducteurs, deux jeunes filles, le garçon et la mère de famille : Marie*. Le père est mort d’un cancer il y a quelques années. Ses yeux nous épient depuis une vielle photo placée sur la seule petite commode de la pièce.

 

Comme ils ne parlent pas français, nos traducteurs prennent le relais et nous aident à démêler les conversations en arabe de nos hôtes.

 

Au Liban, la plupart des enfants parlent couramment français ou anglais, langues qu’ils apprennent dès le plus jeune âge à l’école, où seuls les cours d’histoire et de littérature sont dispensés en arabe. Par pudeur et timidité, ils ne prennent pourtant que très peu la parole. Derrière les sourires de façade, la honte se lit par moment sur leurs visages, marqués par la fatigue et un quotidien rythmé par la misère et les sacrifices.

L’appartement, qui ressemble en réalité bien plus à une cave aménagée, est très petit, sans fenêtre. Il ne comporte qu’une chambre pour cinq personnes, un salon, une cuisine ainsi qu’une salle d’eau. L’état des pièces est sinistre, le lieu est dépouillé de meubles, quasiment vide. Un cafard, sortant de la commode, nous surprend.

 

Les règles d’hospitalité sont très formelles en Orient. Nous acceptons un verre d’eau en préambule de l’entretien. La mère répond de son mieux à toutes nos questions, avec l’aide de ses enfants parfois. À travers leurs réponses, c’est un appel à l’aide que nous distinguons.

Plus l’entretien avance, plus je suis bouleversé : une famille de quatre enfants, Maya, Lena, Zahra et Hady, si jeunes et sans père déjà, la mère porte le deuil. Elle n’a pas de travail, ils n’ont donc aucun revenu. Les enfants sont encore scolarisés. L’aînée fait des petits boulots de couture après l’université afin que la famille ait de quoi acheter un peu de pain. Leur unité et leur solidarité force notre admiration, leur combat quotidien contre la misère nous révolte, quel courage, quelle résilience.

 

À la fin de la discussion, nous visitons le logement. Suite à l’incendie de la cuisine, l’électricité ne fonctionne plus. Ils n’ont donc plus de chauffage pour l’hiver, plus de frigo pour la nourriture, plus de four, plus de gazinière… Très peu de vaisselle, pas de rangements, rien, pas de table ni de chaises ; dans la chambre les matelas ont pourri à la suite d’une inondation, le linge aussi. Il ne leur reste que l’amour, la dignité d’une vie pieuse, quelques sourires que nous parvenons à leurs arracher et quelques larmes qu’ils ne peuvent retenir. Ils ont honte de nous montrer leurs vies. Nous découvrons que les sanitaires sont condamnés, ils n’ont plus l’eau courante. L’accès à l’unique chambre nous est interdit tant l’odeur y est terrible. Tous les linges pourris y sont entreposés en attendant de peut-être pouvoir les sauver.

 

Une question nous hante : comment font-ils pour vivre ici ? Pour survivre ?

 

Ils ne mangent qu’un repas par jour, donné par l’Église ou la banque alimentaire. Des amis ou des voisins les aident à payer les factures (électricité, gaz, scolarité, téléphone), leurs vêtements sont fournis par des associations, ils ne survivent que grâce à la charité. Mais cela ne suffit pas ! Le jeune garçon chausse du 44, or cette taille est introuvable dans le dispensaire qui les accompagne. Alors, il porte donc de vieilles baskets au semelles défoncées. Leurs sacs de classe sont troués, ils n’ont plus de trousses ni d’affaires pour suivre les cours qui reprennent bientôt. Les filles sont d’une maigreur préoccupante. Dans le foyer, certains souffrent de problème de santé, d’asthme notamment, mais les médicaments, déjà rares dans le pays, leur sont inaccessibles.

 

Au milieu de ce désastre une série de petites peintures, accrochées au mur, nous rappelle pourtant que la beauté peut exister partout. Par curiosité, je demande d’où elles proviennent. Une des filles esquisse un sourire gêné, elle est la grande artiste de la famille. Cette jeune fille de 19 ans, au talent fou, ne peut cependant plus pratiquer sa passion, les finances familiales ne permettant pas l’achat de matériel.

 

Au milieu de tant de misère, nous ressentons dans nos cœurs une présence particulière, celle de Notre Seigneur. Cette famille a confié son avenir à la saint Vierge et seule la charité leur permet de survivre. Une force immense les habite, celle de la confiance en la Providence. La joie règne dans cette demeure. Leurs âmes sont belles et ni les cafards, ni la moisissure, ni l’incendie, ne peut altérer cette beauté. La prière protège cette famille, elle s’en sortira, nous n’avons aucun doute là-dessus, et nous les aiderons car c’est notre mission.

Denis, volontaire au Liban

*Par décence, les prénoms ont été changés.
* Les photos n’ont pas été prises dans l’appartement de la famille. Ce ne sont que des photos d’illustration.