Sept semaines de découvertes d’une richesse exceptionnelle.

Au milieu du mois de juillet, la navette de la municipalité du Qaa s’approche du village. De part et d’autre de la route, droite comme si elle avait été tracée à la règle, une plaine s’étend avant d’être enfermée brusquement entre deux montagnes. La vue de la Bekaa, vallée fertile au milieu des monts arides, est un tableau que l’on pourrait contempler durant des heures ; je l’aurais bien apporté dans mes bagages en rentrant un France.

 

Lorsque la navette arrive au village de Qaa, à quelques bornes de la frontière syrienne, je sens déjà que le départ sera un arrachement.  Depuis la terrasse de notre maison, je découvre des oliviers parsemés à perte de vue entre les hautes herbes jaunies par le soleil, aussi loin que l’Homme a eu le courage d’irriguer la terre sèche. « Ton souffle est bienfaisant ; qu’il me guide en pays de plaines » : après avoir traversé les montagnes, le verset du psaume 142 me revient à l’esprit et je crois avoir découvert une terre promise. Il est entre midi et quinze heures. Autour de notre demeure où les volontaires de SOS Chrétiens d’Orient discutent et débattent déjà des projets dans un joyeux brouhaha, les maisons blanches et ocres font tranquillement la sieste rituelle.

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Les terrasses de toits s’empilent les unes à côtés des autres à l’image de celles des cités antiques dessinées dans les livres d’histoire, comme si les normes de construction avaient été fixées par Nabuchodonosor sans jamais n’avoir été remises en cause. Les traditions sont certes d’une importance majeure dans cette région, en voilà déjà deux : la sieste et les terrasses de toit.

 

Soudainement, quand le village se réveille après le repos digestif, il le fait savoir au monde entier. Les voitures, quads et motos s’ajoutent désormais au décor, et le bruit des musiques arabes remplace brusquement le silence de midi.

En déambulant à travers les rues, je commence à prendre des habitudes : les invitations s’enchaînent et j’explose mon « ratio de cafés par jour » ; les gens bavardent à voix haute avec de grands gestes, assis sur des chaises en plastique disposées en cercle, et je retrouve des airs d’Italie. On picore entre les discussions : figues, pêches, noix et olives. La mère de famille se lève, arrache les tasses et assiettes des invités pour les remplir une fois de plus avec insistance, comme si les Français mourraient de faim dans leur pays. Nos hôtes mettent un point d’honneur à nous accueillir comme des princes dans une sorte de cérémonie quotidienne : « tfaddalo » (« venez »), « ahlan wa sahlan » (« soyez les bienvenus »).

 

Les jours se suivent sans que je ne m’en rende trop compte. Les journées sont brûlantes et la moindre brise légère devient une bénédiction. Le soir, dès que le vent se lève et glisse sur la pierre encore chaude, les volontaires s’attroupent sur le balcon pour en saisir tous les bienfaits : on ne profite vraiment d’une chose que lorsque l’on sait qu’elle est éphémère. Il en a été de même pour tout mon séjour au village du Qaa : les activités sportives et artistiques avec les enfants, les cours de français, l’organisation d’un grand récital de musique classique, le travail agricole au village voisin de Jdeideh, les activités manuelles chez les locaux, ou encore les projets de bourses scolaires, de réhabilitation d’un car-wash, d’achat de poules pour des familles démunies… Toute cette aide a été le fruit de l’imagination de volontaires passés ou présents.

 

Au long de la mission, il y a toujours eu quelque chose de beau qui nous dépassait, c’est-à-dire la conscience de ne pas saisir entièrement la portée de notre tâche.

 

Je prenais peu à peu conscience que ce travail était une contribution modeste mais noble à la cause des chrétiens d’Orient. Et ceux-ci nous ont fait comprendre que ce n’était pas en vain : comme des frères, nous avons partagé les mêmes joies et les mêmes peines. J’aimerais raconter toutes ces joies et ces peines, mais dans le souci de ne pas ennuyer mon lecteur, je ne m’attarderais que sur quatre souvenirs. Pour sortir des plans académiques en trois parties, je vais prendre le soin de vous donner quatre souvenirs thématiques, qui se nommeront respectivement « la ferme de Jdeideh », « les enfants du Qaa », « les obsèques de Sahar » et enfin « le récital ».

 

Dès la première semaine, j’ai découvert un endroit si beau que je n’aurais pas les mots pour le décrire. Près de Jdeideh, dans le creux de la vallée, le Père Jean, prêtre originaire du Qaa, a bâti avec l’aide des anciens volontaires un sanctuaire dédié à Saint Antoine. Là-bas, il a creusé une grotte, construit une église, un terrain de football et de basketball, tout en irriguant les terres et en plantant des dizaines de variétés de fruits et de légumes. Une grande partie de ses récoltes sont distribuées gratuitement à des familles pauvres.

Plus récemment, il a ajouté à ce petit chef d’œuvre un troupeau de brebis, de chèvres, des oies, des poules, des lapins, un chien et un chat. Les volontaires du Qaa y ont l’habitude de passer deux nuits par semaine pour cultiver la terre, ramasser les déchets et faire paître les brebis et les chèvres.

 

Le sanctuaire est à la fois un lieu de travail et de repos ; la chaleur du jour nous oblige à mettre le réveil tôt pour travailler pendant les heures fraîches. Les volontaires descendent dans le potager pour récolter les concombres ou les courgettes face au Mont Liban sous le ciel rougeâtre de l’aube.

 

Passées les onze heures, la sieste et la promenade sont de rigueur jusqu’en fin d’après-midi. Dans ces heures creuses, l’on peut discuter avec le père, aller prier dans la grotte, méditer à l’ombre d’un olivier, se reposer sur un matelas ou encore discuter avec les gens de passage.

 

Cet îlot de tranquillité dans une vallée souvent agitée a été, à mes yeux, la preuve concrète que l’objectif de l’association peut être atteint pas à pas : les chrétiens des alentours s’y sentent en paix pour venir prier, parler, jouer et mener une vie sociale loin du tumulte des tensions communautaires. Après le travail, le soir venu, nombreux sont les habitants du village qui viennent regarder leurs enfants jouer avec les volontaires depuis leurs chaises, en posant un narguilé pour laisser passer le temps. Après le travail, des jeunes de notre âge passaient de temps en temps nous rendre visite. Les jours passés dans ce sanctuaire-ferme – concept unique s’il en est – ont été des plus gratifiant.

 

Revenons à Qaa ! Les volontaires organisent trois jours par semaines des activités avec les enfants au Centre de lecture et d’animation culturelle (CLAC) du village. Petit bâtiment à côté d’un jardin public et d’un terrain de football, cet endroit a été au cœur de l’animation estivale des enfants du coin. Semaine après semaine, nous y en rencontrons de tous les milieux sociaux, chrétiens comme musulmans. Le temps passé avec eux tisse évidemment des liens forts que l’on n’oublie pas.

 

Avant mon départ et celui d’une autre volontaire, un jour où aucune activité au CLAC n’est prévue, nous sommes convoqués sur place pour une surprise. Mystère… Nous nous y rendons avec curiosité. Arrivés au jardin public, des enfants postés à l’entrée nous bandent les yeux et nous guident à travers le parc. Une fois la vue retrouvée, nous découvrons des confettis avec nos prénoms, des dessins et des ballons collés sur les bancs et les lampadaires, des jus de fruit et un gâteau au milieu.

Ce n’est qu’à ce moment précis que j’ai mesuré l’attachement des enfants et que j’ai pu considérer que nous avions fait du bon travail. J’en garde un remord : le roulement continue des volontaires en mission fait toujours beaucoup de peine aux enfants qui s’y attachent. Partagé entre deux sentiments, la joie des moments passés et la culpabilité de partir, je ne peux désormais qu’espérer les revoir lors d’un futur passage dans leur pays.

 

 

Ce séjour n’est pas uniquement un long fleuve tranquille : le 4 août, alors que nous étions à la ferme du Père Jean, nous apprenons avec le monde entier l’explosion de Beyrouth. Trois volontaires sont choisis pour partir renforcer l’équipe sur place, nettoyer les débris et distribuer des colis alimentaires aux familles sinistrées. Nous apprenons aussi vite le martyr d’une jeune fille du village, pompier, Sahar Georges Faress, décédée dans l’exercice de ses fonctions lors d’un dernier appel avec son fiancé.

 

 

L’événement est un choc pour le village du Qaa où tout le monde se connaît. La municipalité m’appelle pour demander aux volontaires d’aider à l’organisation des obsèques dans le respect des règles sanitaires.

 

 

Nous revenons en urgence, et nous distribuons des masques et du gel hydroalcoolique à l’entrée de l’église Saint-Georges. Nous voyons le cercueil arriver entre les bruits de tambours, la musique assourdissante et les tirs de fusils en l’air. Le fiancé en larmes est porté sur les épaules de ses proches qui défilent les uns après les autres en poussant des cris de douleur. Cette façon de rendre hommage aux morts nous laisse muets. Emus, nous suivons la messe d’obsèques depuis le parvis.

 

 

Des images gigantesques de Sahar sont affichées à travers les rues. Sa mort devient un symbole d’héroïsme pour tout le village, une douleur et une fierté immense. J’ai senti que notre place était vraiment au plus proches des habitants et que, en tant que frères chrétiens, nous étions là pour partager toutes leurs peines. Bien loin d’êtres cloîtrés dans des bureaux new-yorkais pour envoyer une aide purement financière, notre présence sur place permet de créer une amitié véritable entre nos deux peuples, celle qui est unie par la Foi.

 

 

Dans la dernière semaine de juillet, nous commençons à préparer un récital de musique classique et de chants religieux pour la veille de l’Assomption. Tout s’organise progressivement, avec le travail et les coups de chance, entre le siège à Beyrouth et notre équipe de Qaa. Après le martyr de Sahar, cet événement est désormais organisé en son honneur et en hommage à toutes les victimes de la catastrophe de Beyrouth. Le récital doit se tenir au sanctuaire Notre-Dame de la Békaa, construit il y a quelques années en amont de la ville, sur les contreforts du Mont-Liban. Très symbolique, il est bâti sur la piste qu’avaient emprunté les djihadistes de Daesh lorsqu’ils avaient attaqué le village.

 

L’une des volontaires, qui pratique le chant lyrique, est choisie pour chanter aux côtés du célèbre ténor libanais Eliya Francis, contacté par un pianiste et ami de l’association.

 

Les réunions avec la municipalité s’enchaînent. « Libanité » oblige, les choses avancent difficilement et beaucoup de réunions servent à prévoir la suivante (et boire quelques cafés au passage). Malgré ces complications auxquelles je me suis vite habitué, peut-être parce que mon esprit du Sud préfère le bazar à l’ordre, le projet se monte progressivement.

La volontaire révise ses morceaux, le pianiste et la violoncelliste s’entraînent, le maire et le président de SOS Chrétiens d’Orient préparent leurs discours. Le Jour J, après la messe, des centaines de personnes s’attroupent dans le public. Durant le récital, les musiques et les chants émeuvent tous les spectateurs venus du Qaa et d’ailleurs. Un drapeau libanais est projeté sur la statue majestueuse de la Vierge, en-dessous duquel figure une image de la défunte Sahar. Cette soirée restera un souvenir extraordinaire, dans un beau mélange entre musique classique, amitié franco-libanaise unité entre chrétiens d’Orient et d’Occident.

Enfin, je dirais tout simplement que cette mission m’a enseigné une chose essentielle : en prenant des initiatives simples pour concrétiser ses idéaux, tout est possible. C’est par le travail quotidien que l’on arrive à obtenir un beau résultat et à servir de témoignage. Le Père Jacques Sevin a écrit dans sa « Prière des chevaliers » : « Préparez-nous aux grandes choses par la fidélité aux petites ».

 

Avec cette mission, la simplicité du travail quotidien, dans l’effort du travail agricole gratuit, dans l’organisation des activités et des cours pour les enfants ou encore le nettoyage de la maison d’une femme pauvre (pour ne citer que ces exemples), j’ai compris toute la vérité de cette maxime.

 

Désormais, à la veille de mon départ, je souhaite continuer ma mission en étant un témoignage de la vie des chrétiens de Qaa, de la beauté de ce pays et de notre Foi universelle : cette Foi qui proclame que l’exemple de Jésus, c’est-à-dire l’abandon de soi pour se mettre au service les autres, est le plus bel objectif qu’un homme puisse avoir dans sa vie terrestre.

Matthieu, volontaire au Liban.

Votre responsable de pôle

Iseult Béchaux

Responsable des volontaires

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