« J’ai soif, j’ai soif de servir, soif d’aimer, soif de regarder en chrétien. »

Aéroport de Minsk- Biélorussie, 29 décembre 2020

 

J’ai vidé mon emploi du temps pour accueillir la plénitude de la vie à travers cette mission. Suite au cessez-le-feu du 10 novembre j’ai immédiatement contacté SOS Chrétiens d’Orient. Avoir 20 ans en 2020, c’est éclatant, parfois impressionnant mais les jeunes doivent garder un cœur battant. En cette période troublée, il est certainement de notre devoir de se relever, d’apporter gaieté, force et tendresse à notre entourage. Montrer que la bataille n’est pas perdue, que nous n’avons pas encore tout vécu et ouvrir les consciences sur ce qui se passe à l’extérieur de nos frontières. Porter nos regards et nos pensées sur ces peuples sacrifiés.

 

Du génocide de 1915, au conflit du Haut Karabakh en 2020, je le dirais crument : l’Arménie en a bavé. Depuis mon retour de mission en Égypte lors de l’été 2019 je n’attendais qu’une chose qui est l’union de deux : servir et partir pour vivre. J’ai ainsi décidé de quitter les sauvages des grandes villes pour rejoindre, un tant soit peu, les civilisés des montagnes caucasiennes.

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De cette première mission, il y a bien une chose que j’ai retenu : ceux qui n’ont rien, que leurs yeux pour pleurer et leur cœur pour aimer, vous donneront le plus, oui. Mais au-delà d’un aspect matériel, ils vous regarderont le plus, vous aimerons le plus, à une époque tant effrénée que l’on ne saurait dire la couleur des yeux de notre voisin d’amphi le lundi matin. J’ai donc décidé de boucler mon sac à dos.

 

Guy de Larigaudie expliquait ainsi « il est aussi bon de peler des pommes de terre pour l’amour du bon Dieu que de construire des cathédrales ». Je n’ai pas de gros muscles et je mesure 1m50 mais j’ai de la volonté, alors je voulais éplucher toutes les pommes de terre d’Arménie, pour le sourire des chrétiens.

Je suis une petite étudiante lambda comme on en croise à chaque coin d’amphi, potassant ses cours et rêvant de se sentir utile, de sourires étrangers, de tradition culturelle nouvelle. Mais j’avais cette soif de servir, de me donner, de faire de mon mieux pour le copain d’à côté. Alors je me suis engagée et j’ai pris mes billets. Je suis partie en Arménie, certes trop peu de temps, mais c’est déjà un départ. Là-bas, j’ai retrouvé la simplicité, là-bas je me suis émerveillée. Je ne veux pas que le simple tempo de ma petite vie batte au rythme de manifestations violentes, article 24, coronavirus, Biden, zoom.

 

Au bout d’un moment et souvent plus vite que nous ne l’imaginons nous perdons cette petite musique intérieure, nous ne sommes plus au diapason. Tout sonne alors faux, nous avons perdu cette harmonie. En mission, j’ai appris à réécouter cette chanson intérieure que nous avons tous.

 

J’ai laissé ma montre en France, vestige de ma mission en Égypte, en ayant la volonté d’habiter le temps plutôt que le regarder, vivre l’instant présent non par la productivité du tic-tac mais par la rencontre humaine. Enthousiasme veut en réalité dire souffle de Dieu « en-theou-asthma ». Je l’ai ainsi laissé me souffler cette idée folle de partir pendant mes révisions et au moment des fêtes familiales de fin d’années mais, Il m’a soufflé la vie et m’a rendu enthousiaste pour ce nouveau départ.

 

Vous vous direz certainement, que lorsque que l’on reste seulement une courte période, on ne vient pas pour changer les choses, ni transformer un village ou le destin des Arméniens que nous rencontrerons. Nous sommes juste « des serviteurs inutiles » qui « donnons nos mains pour servir et nos cœurs pour aimer, » comme nous disait Mère Teresa. Mancur Olson viendra même dire que notre action est irrationnelle en considérant son impact. Je ne suis pas d’accord avec vous Olson, il n’y a pas de petit geste s’ils s’on fait avec le cœur, et que dans cette simple action vous avez découvert un fragment de l’une des milliards de pépites que la vie vous offre.

 

Quel est le sens de toute cette souffrance en voyant ces plus démunis ? Quel est les sens de ce sentiment d’impuissance quand j’écoute leurs blessures encore vives d’avoir quitté leur terre, d’avoir perdu un proche ?

Nous sommes tous au courant du malheur des Arméniens de quitter la terre de leur père, de leur grand-père, de leur frère et fils mort au combat. Mais en avons-nous conscience ? Avons-nous conscience de la témérité de ce peuple à porter à bout de bras l’espérance d’un avenir meilleur ? Avons-nous conscience de ce peuple si courageux, défendant leur Église jusqu’à la dernière force, de leur attachement à leur terre, au point de brûler leur propre maison ? Connaissons-nous cette réalité ?

 

Nous avons choisi de fermer les yeux et de l’ignorer ; SOS Chrétiens d’Orient choisi de les garder grands ouverts et de tendre une main.

 

C’est ainsi, lors de mon escale à Minsk que j’écris ces quelques mots en attendant mon vol pour Paris, en attendant mon retour parmi les sauvages. Je ne pense pas avoir grandi lors de cette mission en Arménie mais davantage d’être devenue plus petite, dans l’humilité de ma place, dans la conscience de ma chance. Mon éducation scoute m’a appris le service, à être toujours prête.

 

J’ai désormais la ferme volonté, le violent désir, dans ce monde d’adultes qui m‘attend au tournant, de servir sans retour, d’aimer sans juger, de regarder sans se presser.

Toutes ces traductrices, ces amis du centre francophone de Goris et celle d’Erevan, qui donnent leur temps sans compter, parfois travaillant leur examens la nuit pour nous aider le jour. Elles sont des sentinelles de l’invisibles, des charités oubliées, des arméniennes dévouées, elles sont Carmen, Nona, Maryam, Asmik, Nelly, Érymé.

 

Je pourrais évoquer ces évaluations de terrains dans ces villages défigurés par la guerre et ces visages marqués par l’espérance. Il y avait ce petit monsieur dans le village d’Alavus, parti en pleine nuit avec ses petits-enfants car les Azéris étaient déjà trop près de son humble foyer. Il est parti le 24 septembre, nous étions le 17 décembre et il n’avait pas d’autre choix que de porter les mêmes vêtements que le jour de sa fuite. Il était agriculteur, comme beaucoup d’autres, il était confortablement installé, paisiblement père et grand-père, pleinement habitant de l’Artsakh et il a fui.

Je pourrais vous parler de cette femme, lors d’une donation, qui pleura dans mes bras par honte de quémander alors qu’on lui apportait simplement ce qui représente si peu pour nous, occidentaux éperdus dans les richesses, un colis alimentaire pour 5 jours. Elle n’osait pas dire qu’elle avait faim et qu’elle ne savait plus où trouver de l’argent pour des couches et des vêtements pour ses enfants. Elle aussi, est partie comme beaucoup d’autres avec seulement ses papiers d’identités.

 

À la télévison, défilent les actualités, la simple vue d’Erdogan décrivant ce peuple comme « des chiens d’arméniens » fait déferler à nouveau les larmes sur ses joues. Elle avait fui la première guerre à l’âge de 2 ans pour Moscou, elle est revenue aider la famille de son époux qui se porta volontaire sur le front, son fils avait désormais 2 ans, l’Histoire se répétait.

 

Je pourrais décrire cette famille de sept enfants à Vorotan, village arménien trop près de la nouvelle frontière, dont l’avenir est incertain. Nous venions leur apporter couvertures, matelas, colis alimentaires et colis de produits d’hygiène. Toute la famille, même la grand-mère dormait sur le sol, il n’y avait pas de carreaux aux fenêtres, leurs vêtements étaient troués. Un huitième enfant arrivait bientôt, une nouvelle bouche qu’il fallait nourrir.

 

Peut-être que ce sont des images comme cela que vous souhaitez lire pour vous décider à partir, pour vous décider à servir, j’en ai pleins d’autres à vous raconter. Mais, je préfère vous évoquer le sourire de ce monsieur en partant avec son colis alimentaire, son air malicieux quand on lui demandait sa taille pour lui offrir un manteau.

 

Je préfère vous raconter l’hospitalité trop généreuse en considérant leur précarité, de cette maman arménienne. Thé, café, chocolat, friandises, fruits, nous étions gâtés, elle nous ouvrait son cœur et sa porte et nous faisions de notre mieux pour lui tendre notre main, lui ouvrir notre cœur et l’assurer de nos prières. Je préfère vous parler de la joie débordante de ces 7 enfants, de cette grand-mère absolument fan de notre Président Macron qui nous expliquait qu’elle aimait tous ses postes Facebook. Le portrait de Sainte Thérèse accroché sur ce mur troué laissant passer le froid glacial du Caucase, nous rappelait sagement que l’on trouve Dieu à chaque instant dans les petites choses du quotidien. J’avais regardé leur quotidien, j’avais reconnu Marie dans le visage de ses petits.

Je préfère également vous parler de chaque volontaire qui fait vivre ces missions, ces aventures hors du commun, à chacune de ses actions. Ce sont eux les poumons de l’efficacité de la machine SOS Chrétiens d’Orient. La solidarité, le partage et les belles amitiés, les petites attentions lors d’un témoignage émouvant ne sont pas à sous-estimer. Un lieu de mission qui marche bien, qui rigole beaucoup, c’est un lieu de mission qui va loin et qui sert beaucoup (Kenavo à Alexandrie et à Goris).

 

Je préfère vous parler de ces hommes, de ces femmes et enfants, de ce peuple d’Arménie qui ne survit que grâce à la transmission de sa culture. L’une des plus grandes diasporas réparties dans le monde et pourtant l’une des identités culturelles la plus affirmée. Là est ma vision d’une mission humanitaire : partir pour eux et non enfiler nos lunettes de français confortablement installés et juger leur précarité.

Enfin, impossible de ne pas évoquer cette grâce divine de ce noël chrétien lors de cette mission en Arménie. Je n’ai jamais vécu de réel Noël à l’image de la crèche et du cheminement de la Sainte Famille, ma famille n’étant pas réellement pratiquante. Je veux dire un vrai Noël, où nous sommes amoureux des petites pépites de la vie. Un Noël tellement heureux que l’on en fait cette expérience sensorielle de l’Éternité. On est tellement rempli de joie que l’on se sent léger. Des crampes à la mâchoire, à force de sourire, sont l’unique douleur que nous ressentons. Si léger que l’on s’envole peu à peu vers le Ciel, parce que nous avons soudainement confiance. Je voulais vivre une Noël comme cela.

 

J’ai reçu quelque chose au-delà de mes espérances. Nous sommes allés le 24 au soir dans une communauté de Mère Theresa. Je ne pourrais ni décrire leurs visages illuminés par la foi, ni mettre des mots sur ce que je vivais. Une phrase était inscrite à côté de la croix « I thurst » ; j’ai soif, soif de servir, soif d’aimer, soif de regarder en chrétien. Je passais enfin un Noël plus vrai que n’importe lequel car j’étais avec ceux qui ressemblent le plus à Jésus dans la crèche et ceux qui l’entourent.

 

Je suis ainsi partie en mission avec les chrétiens, pour les chrétiens.

 

Par le partage autour d’un met arménien ou dans la fatigue d’une donation, pendant une partie de loto lors des cours de français ou dans une conversation banale à la caisse d’une épicerie, au détour d’un regard étincelant de gratitude ou d’un sourire édenté et radieux, la simple volontaire que je suis s’émerveilla, chose dont j’oubliais le pouvoir en France.

 

Chérissez la paix, elle est si précieuse.

Gabrielle, volontaire en Arménie.

Votre responsable de pôle

Iseult Béchaux

Responsable des volontaires

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