Une mission d’urgence à haute tension à Kherson

24 février 2022, le monde se réveille avec les images à peine croyables d’une guerre en plein cœur de l’Europe. Ce conflit d’une ampleur jamais égalée depuis la seconde guerre mondiale est sur toutes les lèvres. Assistons-nous aux premiers jours d’une nouvelle guerre mondiale ? D’un côté les Etats-Unis et leurs alliés parlent d’asphyxier économiquement la Russie et d’augmenter les livraisons d’armes à l’Ukraine, de l’autre Moscou évoque la possibilité nucléaire et au milieu, un peuple de 40 millions d’habitants découvre l’enfer de la guerre.
 
Comme tout le monde, les équipes de SOS Chrétiens d’Orient observent par écrans interposés ces femmes et ces enfants fuyants les combats par centaines de milliers, ces bâtiments en flammes, ces familles recluses dans des sous terrain poussiéreux pour échapper aux bombardements.
 
Face à cette situation inédite, les Européens se mobilisaient à grande échelle, mais les milliers d’initiatives individuelles venaient se heurter à l’inexpérience d’une crise humanitaire de grande ampleur et les ONG majeures engageaient une machine de réponse massive mais qui nécessiterait un certain temps pour aller toucher en profondeur le territoire ukrainien. Résultat : la Pologne était devenue un goulot d’étranglement et sa frontière avec l’Ukraine était saturée d’aide humanitaire alors que la plupart des villes ukrainiennes de l’Est et du Sud manquaient cruellement de tout et que certains pays limitrophes ne réussissaient plus à absorber les flux de réfugiés traversant leurs frontières.
 
Forte de huit années d’expérience dans la réponse humanitaire en zone déstabilisée, et de deux années d’expériences dans le montage de missions d’urgences avec des équipes spécialisées, décision était prise pour SOS Chrétiens d’Orient de déployer deux équipes d’urgence au cœur de ce territoire héritier du patriarcat de Constantinople et représentant l’un des joyaux de la chrétienté orientale européenne.
 
Après un gros travail de fond afin d’établir notre plan d’action, deux équipes partirent quelques jours après le début du conflit : une première en Hongrie afin de toucher le nord du pays et une seconde en Moldavie afin de venir en aide aux populations du sud du pays. Durant dix jours, les deux équipes n’eurent qu’une obsession, apporter plus d’aide, au plus loin, aux plus nécessiteux. Des dizaines de tonnes de nourriture, d’équipement médical, d’effets chauds, de lait et de couches pour enfants furent ainsi distribués à Budapest, à Kichinau, à Kiev, à Odessa…
 
Alors que les Russes se retiraient du nord du pays quelques jours plus tard, SOS Chrétiens d’Orient décidait alors de renforcer son aide dans le sud du pays après la transmission de flambeau à de nouvelles équipes arrivées de France et s’appuyant sur de solides partenariats avec des ONG locales.
 
Le printemps arrivant, il était temps de réévaluer les besoins et de s’appuyer sur la cartographie des autres acteurs humanitaires afin de ne pas créer de doublon d’un côté, mais de ne pas délaisser le bénéficiaires de l’autre. Notre aide s’articulait désormais au travers de nos partenaires locaux, nous permettant d’agir jusque dans les zones les plus exposées, notamment autour de l’Oblast de Lougansk.
 
Finalement, alors qu’en novembre 2022 la ville de Kherson était reprise par l’armée ukrainienne, nous signions un protocole d’accord avec une ONG moldave afin d’apporter une aide régulière à plusieurs dizaines de familles vivant encore sous les bombardements permanents.
 
La première livraison programmée allait se faire aux alentours de la triste date du premier anniversaire du conflit. Les éléments fixés, il était établi que nous serions de la partie aux côtés de nos partenaires.
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Le 21 février nous nous retrouvions à l’aéroport avec Gautier, responsable sécurité de l’association et Alexandre Goodarzy, directeur des opérations adjoint, chargés de nombreux sacs de matériel médical à distribuer ainsi que de notre lourd matériel de protection individuel. Arrivés à Kichinau dans la soirée, il fallait vite se reposer.
 
Dès le lendemain, l’heure du départ avait sonné. Après plusieurs heures de route, nous passons la frontière ukrainienne. Nous continuons à rouler et arrivons dans la nuit à Nicolaiev, dernière grande ville avant notre destination finale : Kherson.
 
Deux amis journalistes déjà sur place nous alertent : à la veille du triste anniversaire du conflit, une série de frappes meurtrières ont ponctué le discours de Vladimir Poutine. Un missile est notamment tombé sur un arrêt de bus, tuant 6 personnes et en blessant 20. Le gouvernement ukrainien a également durci le ton et les forces de sécurité sont sur les dents.
 
Les deux reporters de guerre habitués des situations tendues nous expliquent que les missiles pleuvent depuis deux jours et que l’un d’entre eux était passé juste au dessus de leur hôtel avant de faire sonner les alarmes de toutes les voitures du quartier en s’écrasant. Notre séjour s’annonçait décidément mouvementé.
Au petit matin, nous commençons les distributions à Nicolaiev. Nous rencontrons des familles dans des situations économiques très fragiles. Depuis le début de la guerre, l’activité économique est extrêmement réduite et beaucoup de gens ne travaillent plus. Les gens que nous croisons nous racontent faire la queue chaque jour pour un peu de pain. Ils nous remercient pour les colis apportés qui leur permettront de manger dignement pour ce mois ci.
 
Partant en début d’après midi pour Kherson, l’ambiance change. Arnachés de nos gilets par balle, casques lourds sur les genoux, nous empruntons une route chaotique au milieu des tranchées abandonnées par les russes en novembre et des carcasses de véhicules blindés.
 
Lorsque nous arrivons devant l’église qui nous sert de base logistique, la ville est étrangement calme. Les derniers habitants rentrent se calfeutrer chez eux avant le couvre feu, la nuit s’annonce mouvementée.
Nous en profitons pour immédiatement nous rendre à l’administration régionale de Kherson. Dans un discret bâtiment au cœur d’un quartier désert à la nuit tombée, nous empruntons un couloir sombre, puis un second. Nous descendons au sous-sol, et là, dans une ancienne salle de sport, au milieu de machines de musculation trop lourdes pour être déplacées, une fourmilière de fonctionnaires s’active.
 
Nous sommes reçus par les responsables de la coordination humanitaire qui nous dressent un état succinct de la situation et nous présentent leurs besoins. Nous convenons de l’intégration de SOS Chrétiens d’Orient dans le plan de réponse humanitaire conçu pour cette région aux avant postes de cette terrible guerre puis nous regagnons rapidement notre camp de base tant qu’il nous est encore permis de nous déplacer. Et nous avons bien fait.
 
A peine enlevons-nous nos protections balistiques en sous sol que nous entendons les bruits sourds des explosions. Est ce un départ d’obus ? Est ce une arrivée de missile ? Dans tous les cas, le duel permanent que se mènent les belligérants depuis un an ne laisse pas de doute sur le fait qu’il y aura des dégâts, ce soir.
 
Durant la soirée, nous échangeons autour d’une soupe traditionnelle ukrainienne. Une vingtaine de personnes habitent dans l’église : bénévoles ou salariés aidant l’église et ses œuvres caritatives, habitants de Kherson dont l’habitation fut touchée par les combats…
 
Prenant place dans le grand dortoir sous terrain abritant tous ces gens, la lumière est désormais éteinte. Certains dorment déjà, d’autres finissent de pianoter sur leur téléphone pour se ternir informés de l’actualité ou simplement communiquer avec leurs proches pour les rassurer. Des ouvertures murales, obstruées par des sacs de sable, nous apercevons la ville s’enfoncer dans une nuit sombre, alors que tous les éclairages publics de Kherson sont désormais éteints.
 
Durant toute la nuit, les explosions viendront ponctuer le sommeil  des habitants de ce refuge improvisé qui depuis des mois sont devenus une véritable famille.
Le lendemain, 24 février, jour anniversaire de la guerre en Ukraine, nous partons distribuer le matériel médical apporté de France à l’hôpital central de Kherson. L’après-midi même, tout sera envoyé dans les hôpitaux de quartier situés sur la ligne de front afin de renforcer les capacités des structures les plus sollicitées.
Nous enchaînons par des distributions à des familles démunies de Kherson. Du fait des bombardements intensifs, les rassemblements ont été interdits par les autorités et notre distribution collective à l’église est tombée à l’eau. Nous avons dû improviser, et c’est au cœur des quartiers ouvriers de la ville, durement frappés par le chômage que nous effectuons nos donations, famille par famille. Nous rencontrons des mères de famille nous racontant ces derniers mois difficiles, avec notamment l’occupation de la ville par l’armée russe. Tous ces mois prostrés dans leur appartement sans oser sortir par peur des brimades ou des rapts. Leurs enfants sont toujours scolarisés mais à distance au travers d’écrans. Pour la plus jeune des filles, c’est la seule forme d’école qu’elle n’a jamais connu…
Nous faisons une dernière donation de nourriture dans le centre-ville au cœur d’un hôpital. Nous sommes à 500 mètres du Dniepr, les Russes sont juste en face et les explosions se font pressentes. Le personnel nous remercie, insiste pour faire une photo avec nous et nous souhaite bon courage… le comble.
 
Une dernière escale à l’église avant de quitter la ville. Nous y déchargeons le reste de la nourriture apportée de Moldavie, en effet, chaque jour leur organe caritatif nourrit plus de 200 personnes.
 
Après un dernier repas, nous reprenons la route pour Odessa, magnifique ville portuaire au cœur de laquelle de nouvelles donations de nourriture nous attendent.