Sur le chantier de l’église abandonnée du quartier sunnite d’Alep

A Alep, dans le quartier Al-Sharasous, l’église grecque melkite catholique Saint-Georges fait figure d’îlot chrétien dans un bastion sunnite. Désacralisée dans les années 60, suite à l’exode des chrétiens, elle est depuis laissée à l’abandon et subit les affres du temps et de la guerre. Mauvaises herbes, déchets, gravats et poussières se disputent l’espace confiné de l’église et de ses cours intérieures. Des trous d’obus perforent deux de ses dômes, des impacts de balles creusent son clocher et la façade d’un bâtiment adjacent. Et pourtant, n’étant jamais tombée sous le contrôle des groupes armés terroristes, elle a été relativement bien épargnée. 

C’est le constat que font les volontaires de SOS Chrétiens d’Orient missionnés à l’église Saint-Georges par Monseigneur Jeanbart, archevêque grec melkite catholique d’Alep. Leur objectif : réaliser les premiers travaux de nettoyage et déblayage, préalable obligatoire aux gros travaux de rénovation. Yoann, volontaire en Syrie, vous propose de le suivre sur ce chantier. 

 

« Ce mardi 8 juin, nous avons rendez-vous avec un jeune séminariste grec catholique à l’église Saint-Georges, située dans la vieille ville d’Alep. Nous quittons provisoirement le chantier des appartements détruits de Midan pour celui de ce quartier sunnite au passé chrétien florissant. 

 

En effet, jusqu’à la fin du XIXème siècle, les chrétiens avaient élu demeure dans ces ruelles pavées, étroites et intimistes, inondées par le soleil. La construction des nouveaux quartiers d’ Al-Hamidiyah, Sulaymaniyah, Jabriya et Al-Aziziah, signa la chute inexorable de celui d’Al-Sharasous. Les familles chrétiennes le désertèrent pour une plus grande modernité et sécurité. Un déplacement de population accentué par la détérioration des relations entre voisins chrétiens et musulmans sous le mandat français. 

Dès lors, Saint-Georges se vide de ses fidèles et les cérémonies se raréfient, jusqu’au jour où elles s’arrêtent définitivement. Saint-Georges est désacralisée puis fermée. Dans cette église, qui était restée la seule d’Alep à célébrer le culte divin durant cette triste période où des millions de chrétiens ont été assassinés par les turcs ottomans, ne résonneront plus les hymnes et les prières à la plus grande gloire de Dieu. 

 

Avant même d’entrer dans la vieille ville, nous sommes interpellés par la vision apocalyptique offerte par les immeubles totalement éventrés, brûlés et criblés de balles ou d’obus. L’atmosphère s’adoucit quelque peu en pénétrant dans la vieille ville que l’on reconnait sans difficultés à ses ruelles labyrinthiques parfaitement entretenues et à ses maisons en pierres.  

 

Vu l’étroitesse du lieu, notre Van ne peut continuer à s’enfoncer plus avant. Nous sommes contraints de descendre de voiture pour terminer le chemin à pied. Suivons le guide ! Il suffit d’aller tout droit… 

 

Après quelques mètres de marche, nous débouchons devant un haut mur de pierres, muni de trois portes. Comme la plupart des églises de la période ottomane, il est impossible de deviner depuis l’extérieur qu’il s’agit d’une église, héritage d’un temps où les chrétiens devaient se faire le plus discret possible pour vivre leur foi. 

 

L’attente se fait longue dans la rue où souffle une légère bise. Les accès sont cadenassés… Il faut buriner ! Une tâche que Ramez, notre chauffeur, prend particulièrement à cœur.

 

La porte de fer forgée s’ouvre sur une première cour recouverte de déchets et de plantes. Il est à ce stade impossible d’en apercevoir le beau dallage de pierre. La nature a repris ses droits. Un noyer et plusieurs figuiers ont poussé, des arbustes épineux recouvrent le sol et les murs, tout comme des déchets jetés par les habitants des maisons voisines.

Après un parcours du combattant, à enjamber des hautes herbes, on pénètre dans l’église par une porte en bois. L’édifice imposant est surmonté par neuf grands dômes rectangulaires.Il ne reste aucun mobilier ou objet liturgique, si ce n’est une chaire en bois fragilement accrochée au mur. Par son aspect et son état d’abandon, cette église me fait beaucoup penser à ces centaines d’églises arméniennes, grecques et syriaques, abandonnées en Turquie depuis le génocide qui a frappé ces trois communautés chrétiennes entre 1915 et 1923.   

 

Les travaux à réaliser ici semblent colossaux. Il faut réparer les trous dans le toit, refaire les plâtres et les peintures, changer les portes et les fenêtres, rétablir l’eau et l’électricité. Mais avant, il faut couper les ronces et évacuer les innombrables gravats, plantes et déchets qui couvrent les sols et les toits. Pourquoi attendre ? Nous nous mettons immédiatement à la tâche. 

Sous un soleil de plomb, le travail est difficile et fatiguant mais le cadre est idéal et nous sommes tous motivés pour redonner une seconde jeunesse à cette ancienne église. Chaque coup de balais nous met en souffrance. L’épaisse couche de poussière noire, qui recouvre les sols, forme des nuages au moindre de nos mouvements. Les masques de protection ne sont pas de trop !  

 

Deux tas de gravats bronzent au soleil sur le sol de l’église, résultat de l’effondrement d’une partie des deux dômes percutés par un obus durant la bataille d’Alep qui a fait rage de juillet 2012 à décembre 2016.  

 

Je relève la tête et observe les alentours. Les déchets qui parsèment le sol sont très variés.  

Dans une salle j’aperçois des objets personnels, dont un grand nombre de photos de famille abandonnées sur le sol. Dans une autre, qui semble avoir été utilisée un temps comme atelier de textile, des tas de tissus, de patrons de couture pour créer des vêtements, ainsi que de vieilles machines rouillées. Sur les toits, beaucoup de déchets jetés par les voisins, de la terre qui bouche les évacuations d’eau et des ronces qui ont poussées entre les pierres. 

 

À la fin de chaque matinée de chantier nous rentrons exténués à l’appartement, le visage et les mains noirs, mais satisfaits du travail accompli. Sur le chemin du retour nous traversons la vieille ville en observant les ravages de la guerre, tandis que notre taxi nous raconte les belles années du quartier. « Ici, il y avait beaucoup de vendeurs de viande et de poisson, mais la guerre a tout détruit et tous les commerçants sont partis ». 

 

Après plusieurs jours de travail, à force de déblayer et d’accumuler, il devient nécessaire d’évacuer les gravats et les déchets entassés. L’étroitesse des ruelles empêchant les camionnettes d’accéder à l’église, nous transportons inlassablement les sacs sous les regards curieux des voisins musulmans. 

 

Un matin, nous recevons la visite surprise de Monseigneur Jeanbart qui vient s’enquérir de l’avancée des travaux. Emerveillé par notre rapidité, il nous remercie chaleureusement pour le travail déjà accompli. Après nous avoir donné ses consignes sur les objets à conserver et ceux dont il faut se débarrasser, il repart sans plus de cérémonies, marquant un arrêt près du figuier portant de jeunes fruits : « Voilà un figuier que notre Seigneur ne maudira pas, il porte des fruits ! ».  Une parenthèse dans cette énième matinée de travail sur le chantier de l’église Saint-Georges. Je me penche vers le sol, arrache des nouvelles herbes, le travail reprend ! » 

Yoann, volontaire en Syrie.