De l’Irak à l’Ethiopie, l’appel de la mission.

Sept ans. Le temps qu’il m’aura fallu pour mettre en pratique mon engagement auprès des chrétiens d’Orient. Jeune étudiant de vingt ans en 2015, j’entends parler de cette poignée de braves rejoignant l’Irak pour se porter au secours des populations fuyant Daech. Issus de ma génération, ils renoncent au confort de leurs foyers et partent dans ce pays en guerre à des milliers de kilomètres de chez eux, la Charité chevillée au cœur. 

Comment ne pas se remettre en question face à leur exemple ? Après l’introspection, la résolution : pensées et paroles doivent plus que jamais se transformer en actions. Je veux décidément servir le bien commun. Et un jour, moi aussi, je serai volontaire avec SOS Chrétiens d’Orient.

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Aide-toi et tu aideras. Après une réorientation et des diplômes, je tiens ma promesse en 2022. La Providence et Iseult Béchaux, responsable des volontaires, m’envoient neuf mois en Irak ; comme un clin d’œil. Je fais alors partie du premier contingent chargé de relancer la mission après deux ans d’absence des volontaires. Dès les premiers jours, l’accueil des chrétiens d’Ankawa nous fait prendre conscience de l’importance du travail réalisé par nos aînés. Nos habits blancs frappés du cœur rouge nous ouvrent les portes de leurs communautés. Quelques semaines à Erbil me donnent l’impression d’y avoir toujours été. Cette sensation ne se dissipe qu’à l’occasion des discussions partagées avec les familles rencontrées : ce qu’elles vécurent, vivent ou vivront, je ne peux m’y conformer.

Je pense à Wadalah, qui a abandonné son appartement et son épicerie de Mossoul un soir de juin 2014 pour tenter de sauver sa vie, celles de sa femme et de ses deux filles. A Victoria, qui n’a plus de nouvelles de ses enfants depuis huit ans après une énième attaque sur la route de l’exode depuis Qaraqosh. 

A Nesrin et Salam, qui enchaînent les problèmes de santé causés par le traumatisme de la perte de leur fils sous les balles des djihadistes. A Yusef, qui a arrêté ses études après avoir échappé à deux enlèvements fomentés par des camarades de classe de l’université. A Samira et Ramsi, qui ne pourront jamais retourner vivre avec leurs filles dans leur maison de Karamlech dont il ne reste plus que des ruines.

A Aziz, qui nous confie dans l’intimité de son salon que sa famille vient de manger de la viande de bœuf pour la première fois en cinq ans grâce aux dolmas que nous avons cuisinés ensemble. 

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A Sofia et Amar, qui tentent de se reconstruire après avoir miraculeusement survécu à un attentat frappant le quartier chrétien de Bagdad en 2017. A Mirna, qui voit régulièrement des groupes kurdes tenter de s’accaparer par la force les terres de son village natal. Je pense à nos collaborateurs locaux, Maryam, Ragheed, Idmon, John, Evan, qui, armés de leur Foi, surmontent la fatalité chaque matin à nos côtés malgré les drames qu’ils n’ont que trop éprouvés. Je pense à ces Chaldéens, Syriaques, Assyriens, Melkites, Arméniens, Maronites et Latins que je n’oublierai jamais.

Ce n’est qu’un au revoir. L’arrivée du mois de décembre est particulière, elle est synonyme d’ultime semaine. Je comprends véritablement que mon aventure en Irak s’achève lorsque je forme pour la dernière fois un nouvel arrivant. Après deux cent cinquante-deux jours et vingt-trois volontaires, je quitte la maison dans laquelle je suis entré hier. Les relais sont transmis, les souvenirs sont écrits et les embrassades sont franchies. Je pars le cœur lourd mais l’esprit léger. Je ne le sais pas encore mais ma mission ne fait que commencer.

Il fait toute chose bonne en son temps. L’année 2023 s’ouvre avec une opportunité : je rejoins le siège de l’association en janvier pour assurer la continuité du pôle Volontaires. Je m’occupais de leur arrivée, je prépare leur départ désormais. Recrutement, formation, entretien, suivi : des dizaines de bonnes volontés défilent devant moi et me ramènent un an plus tôt lorsque j’étais à leur place. Chacun de leur envoi dans un pays de mission capture une partie de moi jusqu’à leur retour. Je suis avec eux sans l’être. L’idée de repartir sur le terrain me démange, quand l’occasion se présente.

 

L’Ethiopie m’appelle ! Au mois de mai, la confiance des cadres de l’association m’envoie dans la Corne de l’Afrique pour y devenir chef de la toute jeune mission. Terre de Lucy, de la reine de Saba, du roi Ezana et de l’empereur Hailé Sélassié, l’Ethiopie occupe une place particulière dans l’histoire de notre Humanité. Deuxième plus ancienne nation chrétienne au monde derrière l’Arménie, l’Ethiopie tient également un rôle remarquable dans l’histoire du Christianisme avec son Eglise orthodoxe tewahedo.

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Dès son arrivée dans le dédale des rues d’Addis-Abeba, on ressent la richesse culturelle, ancestrale et singulière, qui émane de ce pays. Pour autant, on discerne aussi les nombreuses difficultés qu’il rencontre. L’Ethiopie moderne n’est pas épargnée par les défis. Instabilité politique, conflits internes, déplacements de population, famines, pauvreté : si je m’étais familiarisé avec le contexte local avant mon départ, le trajet traversant la ville entre l’aéroport et ma chambre me donne un premier aperçu réel et glaçant de la situation dans la capitale. Cent paires de mains ne suffiraient pas pour compter femmes, enfants et vieillards réduits à la mendicité. Au fil des semaines, plusieurs déplacements à travers le pays me permettent de mesurer que cette extrême misère touche l’ensemble du territoire.

Après deux ans de guerre civile, plusieurs centaines de milliers de morts – les dernières estimations acceptées font état de 600 000 victimes – et des millions de civils traumatisés, l’Ethiopie a du mal à panser ses plaies. Malgré le traité de paix tigré-éthiopien ratifié en novembre 2022, les conséquences de ce conflit continuent de saper une population exsangue déjà touchée par la sécheresse, l’insécurité alimentaire et la malnutrition. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés recense plus de 6 millions de déplacés internes. Le Programme Alimentaire Mondial des Nations unies avance le nombre de 13 millions de personnes ayant besoin d’une aide alimentaire en raison du conflit, auxquelles s’ajoutent 10 autres millions de personnes confrontées à une faim sévère en raison de la sécheresse. Un Ethiopien sur cinq souffre de la faim. Parmi eux, plus de 7 millions d’enfants sont en état de malnutrition. Alors que ces chiffres donnent le tournis, le PAM suspend depuis plusieurs semaines une partie de son aide alimentaire d’urgence après avoir mis au jour une « opération généralisée et coordonnée de détournement ». L’abîme appelle l’abîme.

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Les infrastructures du pays sont également dans un état alarmant. Routes, ponts, réseaux de fourniture en eau et en électricité, usines, logements, commerces, églises, écoles et hôpitaux sont autant d’équipements ayant subi les foudres de la guerre. Le Fonds des Nations unies pour l’enfance évalue à près de 10 000 le nombre d’écoles détruites et à désormais plus de 3,5 millions le nombre d’enfants non scolarisés. Nos confrères de Première Urgence Internationale rapportent quant à eux que 40% des infrastructures de santé éthiopiennes sont à ce jour inutilisables.

A l’aune de ces périls, SOS Chrétiens d’Orient apporte une aide humanitaire concrète. Grâce au soutien de nos généreux donateurs, l’association a par exemple acheminé une aide d’urgence au diocèse de Bahir Dar, à 90 familles déplacées de Kombolcha et à un orphelinat d’Adigrat ; donné du bétail à 150 femmes pauvres de Dhadim ; fourni du matériel éducatif à un orphelinat de Bahir Dar et à une école de Gondar ; réhabilité un presbytère d’Addis-Abeba, un autre de Kombolcha, ainsi qu’un centre de santé de Dhadim. Nous poursuivons par ailleurs la reconstruction de trois écoles à Debre Markos, Hagere Selam et Dire Dawa, ainsi que d’une clinique à Shafina. Enfin, plusieurs projets sont d’ores et déjà à l’étude pour l’année 2024, avec notamment la construction d’un moulin et d’une coopérative pour la léproserie de Kombolcha.

Les Ethiopiens ont considérablement besoin de notre concours pour sortir de la détresse et garder l’Espérance dans leurs cœurs. Face aux épreuves, la guerre de tous contre tous prévaut dans ce pays aux 80 ethnies et 100 langues. Contre ces divisions, notre action humanitaire soulage les corps comme les âmes. Salariés et volontaires de l’association peuvent témoigner de mille réconforts rendus possibles par votre secours. Je compte sur vos prières et sur votre bonté pour le peuple d’Ethiopie. Aidez-nous à les aider ici.

Thibault Wallet, chef de mission en Ethiopie.