Un peuple qui se bat pour sa survie mérite qu’on parle de lui.

Je m’appelle Bertrand, j’ai 23 ans et j’ai été volontaire à SOS Chrétiens d’Orient. 

 

Commençons par les faits : je suis parti le 25 octobre 2020 en Arménie pour une mission initiale de 3 mois. Je suis finalement resté jusqu’à fin avril 2021. En six mois, j’ai vécu une des plus belles expériences de ma vie mais il me parait impossible de raconter tout cela dans ces quelques lignes. Certains diront que c’est peu pour quelqu’un qui a passé six mois en mission, mais il n’est pas aisé de mettre des mots sur ce que j’ai pu vivre et ressentir. 

 

J’ai vécu tant de belles rencontres parfois profondément bouleversantes, des moments uniques et assisté à la tristesse d’un peuple, défait lors d’une guerre inégale. Des familles brisées par une machine infernale lancée par l’Azerbaïdjan, sur des terres historiquement arméniennes. Des Arméniens qui ont dû quitter leurs maisons de force, chassés par un ennemi sans pitié. 

ARMÉNIE
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SUR LE TERRAIN

A mon arrivée, le conflit en Artsakh est quasiment terminé. Foudroyées par une guerre éclaire impitoyable, les forces armées arméniennes ne peuvent rivaliser avec la puissance de feu azérie et les soldats battent en retraite sous un essaim de drones brisant les lignes de défense arménienne. La première fois que je pose le pieds à Goris, je vois une ville entièrement tournée vers l’effort de guerre et de nombreux soldats en permission, leurs visages trahissant une grande jeunesse. La plupart ont entre 18 et 20 ans. Plus jeunes que moi et pourtant envoyés au front là où la mort règne, impitoyable, pieuvre tentaculaire qui décime les rangs des Arméniens. J’ai des frissons quand je lis les banderoles noires ornant l’entrée des villes et villages, marquées du nom des soldats tombés au combat et de leurs âges. 18, 19, 20, 21 ans. Des soldats qui ont commis le sacrifice ultime pour un idéal national qui les transcende. Le courage d’un peuple qui se bat est une anomalie pour nos sociétés occidentales individualistes et aseptisées. 

La guerre n’a pas motivé mon départ, puisque je savais déjà ma destination de mission avant le déclenchement des hostilités par l’Azerbaïdjan, mais elle a accentué dans nos esprits la précarité de la nation arménienne. Entourée de tant d’ennemis et de si peu d’amis, les Arméniens sont en lutte perpétuelle pour leur survie. J’ai pu voir ces Arméniens unis pour défendre leur patrie mais aussi leur foi. J’ai vu de nombreux soldats arméniens, vêtus de leurs uniformes guerriers, posant des cierges dans les églises. Tournant leurs cœurs vers le Seigneur, les soldats ont conscience de la bataille civilisationnelle qui se déroule sur les terres de l’Artsakh.

 

Ce conflit se termine le 10 novembre 2020 par la signature d’un accord de cessez-le-feu tripartite qui provoque la colère de la population arménienne. Les rues d’Erevan s’agitent et je suis réveillé par la foule, ivre de fureur qui se sent trahie par son gouvernement. Ce ressentiment ne quittera pas une partie de la population qui se sent abandonnée. Avec la redéfinition des frontières, une véritable crise des espaces est à prévoir pour l’Arménie. Cette crise je vais en être témoin et SOS Chrétiens d’Orient sera aux côtés des agriculteurs pour trouver des solutions viables à la perte des aires de pâturages, notamment dans le Syunik.

 

Ce cessez-le-feu instaure aussi une occupation de lieux spirituels majeurs pour les Arméniens. Dadivank, monastère millénaire, tombe. Avant l’instauration des mesures effectives de cet accord, j’ai pu me recueillir dans ce poumon spirituel arménien avant que les Azéris s’en emparent. Ce voyage sera le plus marquant de mon séjour : les Arméniens prennent la route pour rejoindre la République d’Arménie, laissant derrière eux leur vie. Certains, ne supportant pas l’idée que leurs biens tombent aux mains de l’ennemi, brûlent leurs maisons et leurs granges.

Le monastère vibre une dernière fois des prières des fidèles venus voir ce haut lieu spirituel. Les hommes fiers ont le visage marqué par les larmes qui ont coulées. Des femmes se lamentent en se prenant dans les bras. Une femme, voyant que nous sommes français, nous interpelle pour nous supplier de témoigner de ce que nous voyons, de témoigner sur le sort des Arméniens dont le monde n’entend pas l’appel au secours. La peur de voir se reproduire 1915 est présent dans leur esprit : les nations européennes sont sourdes et aveugles face à ce qui se produit en Artsakh.

 

Bouleversé par cette journée, je suis réaffirmé dans ma volonté de rester aux côtés des Arméniens et je décide de prolonger ma mission. À la mi-novembre, les volontaires de SOS Chrétiens d’Orient s’implantent à Goris pour répondre directement aux besoins des populations déplacées qui sont venues s’installer là pendant la guerre. Je me vois confier la charge de responsable, un grand honneur pour moi. Dans les premiers mois, nous allons principalement à la rencontre des populations à Goris et dans les villages aux alentours. Khoznavar, Aravus, Tegh, Verishen … qui ont connu un afflux de déplacés parfois difficile à gérer pour les pouvoirs locaux. Je suis tout de suite frappé par l’accueil chaleureux des familles qui, à chacune de nos venues, dressent une table de roi et nous servent des mets tous plus délicieux les uns que les autres.

 

Face à certaines familles, il m’est difficile de parler tant j’ai la gorge nouée. A Goris, nous rencontrons un couple qui a perdu deux de leurs fils à la guerre. L’un d’eux avait mon âge. 23 ans. L’autre était père de deux jeunes enfants. Leur dernier fils est lourdement handicapé mentalement et physiquement. Dans cette situation, face à la détresse d’une famille broyée par la machine infernale guerrière, les mots me manquent pour décrire ce que je peux ressentir. On se sent impuissant à aider cette famille, qui ne se reconstruira jamais véritablement. Et des familles comme cela il y en a des milliers.

Nous tentons de subvenir à leurs besoins primaires en leur fournissant des biens de première nécessité afin de leur assurer de pouvoir passer l’hiver dans des conditions décentes. Ainsi, nous organisons des donations de vêtements, de nourriture, de produits d’hygiène et de couvertures. Ce n’est certes pas grand-chose mais la joie dont rayonnent les enfants lorsque nous leur donnons un jouet me touche en plein cœur.


Dans le village de Khoznavar, une famille composée d’une veuve et de ses deux filles est installée dans un appartement sans eau courante, ni salle de bain. Le visage de la petite fille de 5 ans s’illumine lorsque nous lui donnons un cahier de coloriage et des crayons de couleurs. Ces moments, on ne peut les oublier. Les donations auprès des familles permettent aussi de leur montrer qu’elles ne sont pas seules et que la nation française entend leur souffrance.


Après les grands froids de l’hiver, le soleil renaît et avec lui le printemps. Notre action sur le terrain prend alors une nouvelle forme. Après l’aide d’urgence vient la difficile reconstruction des familles. Alors, avec l’appui de Corentin, mon chef de mission, je lance des projets de développement économique.


A Goris, le nouvel atelier de couture permet aux femmes déplacées de l’Artsakh d’apprendre un nouveau métier et de nourrir leurs familles. Les couturières, toujours très souriantes, se mettent à l’ouvrage avec entrain : elles apprennent vite et déjà des commandes commencent à affluer. Très symboliquement, je leur demande de me coudre un drapeau de l’Artsakh pour le ramener avec moi en France et qu’il demeure un souvenir impérissable de ce que j’ai vécu en Arménie.


De nouvelles problématiques émergent. La redéfinition des frontières provoque une réduction drastique des aires de pâturages pour les troupeaux des paysans arméniens. Ces derniers doivent vendre leurs bêtes à des prix bien en dessous de ceux du marché et se retrouvent sans rien pour survivre. Les hommes et femmes du Syunik doivent trouver d’autres moyens pour se nourrir. Avec les volontaires, j’organise une donation de petits bétails auprès de 8 familles afin qu’elles aient une nouvelle source de revenu. Oies, poules, dindes et mêmes porcelets, ces animaux qui n’ont pas besoin de grands espaces pourront aider les familles à survivre.

Nous donnons aux agriculteurs des arbres fruitiers pour relancer la production maraîchère dans la région : pommiers, poiriers, muriers, cerisiers, noisetiers fournis par le Fond arménien de France sont joyeusement plantés par les volontaires. Entourés des montagnes majestueuses, ces arbres sont le symbole qu’un renouveau est possible pour ces familles.

 

Cependant, la menace azérie est toujours présente : j’ai bien peur que l’Azerbaïdjan ne s’arrête pas à l’Artsakh et déjà le président Aliev menace d’envahir le Syunik. L’Arménie est plus que jamais en péril, menacée par ses voisins qui cherchent à éradiquer la culture arménienne, épine dans le pied de ceux aux visions panturquistes.

 

Une page de ma vie se tourne avec mon retour en France. J’ai tant appris sur moi-même et je sens que cette expérience fondatrice m’a fait grandir. Cela me conforte dans le choix de ce que je veux être dans ma vie d’homme. SOS Chrétiens d’Orient par son action concrète auprès des populations en difficultés m’a permis de découvrir le sens réel de l’engagement.

 

Les autres volontaires m’ont aussi fait grandir. Je pense tout particulièrement à Rodolphe, père de famille de 4 enfants, qui nous a rejoint pendant un mois, laissant derrière lui sa famille pour venir en aide au peuple arménien ; André, jeune père d’un petit Arnaud, qui avait le désir de s’engager auprès des Arméniens, et tant d’autres encore qui ont laissé derrière eux une vie bien rangée pour prendre part à la mission SOS.

J’ai rencontré de vrais camarades d’aventure que je reverrais en France ou ailleurs, et qui m’ont accompagné dans ma mission. Je pense à Grégoire, Gayané, Myriam, Armand, Alexandre, Vincent, Blandine, Violaine, Philippine, Joséphine, Déodat et tant d’autres encore. Je pense aussi à ceux que j’ai rencontré en Arménie, des locaux fiers de leur pays qui se mobilisent et travaillent à nos côtés : Nonna, Karmen, Aram, … Je ne peux pas conclure ce témoignage sans parler évidemment de Corentin, mon chef de mission, qui travaille constamment pour la réussite de cette aventure humanitaire.

 

Ainsi s’achève ma mission ici, mais elle commence véritablement lorsque je serais revenu en France. Le peuple arménien a besoin que l’on fasse résonner sa voix en Occident, pour que l’opinion public prenne connaissance de ce qu’ils vivent. Nos frères arméniens luttent pour leur survie chaque jour et tiennent vaillamment. Ne les oublions pas.

Bertrand, volontaire en Arménie

Votre responsable de pôle

Iseult Béchaux

Responsable des volontaires

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