SOS pour les chrétiens du Pakistan.

Politique Magazine

Entretien avec Charles de Meyer, président de SOS Chrétiens d’Orient pour la projection privée du nouveau film de Patrick Buisson : Que Dieu m’y garde. Le procès de Jeanne d’Arc Jeudi 13 juin 2019 à 20h30.

Pourquoi avez-vous décidé d’aider les chrétiens au Pakistan ?

En réalité, nous n’avons pas décidé a priori de les aider. Ils nous ont contactés afin que nous découvrions leur situation. Plusieurs questions se posaient pour nous : étions-nous encore dans le cœur de notre mission en œuvrant dans cette partie de l’Asie ? Etait-il urgent d’aider une chrétienté très majoritairement latine quand tant de fidèles de rits orientaux souffrent de l’ignorance de leurs frères français ? Allions-nous recevoir un accueil suffisamment intéressé du public français pour un pays généralement associé à l’orbite culturelle anglo-saxonne ?

Pourtant, lors de leurs premières missions là-bas, François Xavier Gicquel et Alexandre Goodarzy, qui s’occupent du développement du périmètre d’intervention de SOS Chrétiens d’Orient, nous ont fait part de l’urgence d’intervenir.

Pakistan
Type d'intervention

La chrétienté pakistanaise fait face à diverses difficultés : des discriminations, des persécutions, bien sensibles dans l’affaire Asia Bibi, mais aussi des situations économiques de relégation à l’esclavage de pans entiers des communautés chrétiennes. Le père Emmanuel Parvez, curé de Pansara, nous a tellement touchés que nous n’avions plus d’autre choix que de répondre à son appel. Depuis, nous travaillons notamment à sortir des familles de la servilité en leur offrant des logements dans des villages communautés spécialement dédiés à cette mission.

En réunissant notre communauté militante ce 13 juin à Paris pour cette cause, nous voulons adresser un message fort à nos frères chrétiens du Pakistan : nous ne les oublions pas !

Peut-on faire un parallèle entre l’histoire de France et celle du Pakistan, notamment au moment des guerres de cent ans ?

Nous pourrions percevoir quelques liens : les influences étrangères dans le pays, le morcellement du pays en régions antagonistes, la présence de communautés qui ne promeuvent que difficilement l’unité nationale.

Il reste toutefois des différences trop dirimantes pour permettre cette comparaison. La construction du Pakistan est le fruit d’un génie très différent de celui qui présida à l’édification de la France, notamment dans sa dimension religieuse. Le Pakistan n’a pas de petit roi de Bourges dont la légitimité serait disputée : il est une mosaïque d’intérêts et de communautés qui peinent à se fondre en un ordre politique unique. La France de la guerre de cent ans devait revenir à l’essentiel de son existence, le Pakistan doit encore découvrir comment exister.

Asia Bibi est-elle devenue une héroïne pour les chrétiens Pakistanais ?

Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question. Je peux en revanche partager le témoignage d’un chrétiens pakistanais émigré au Pays-Bas dont nous évoquions le témoignage sur le site de SOS Chrétiens d’Orient : « Il y a beaucoup d’Asia Bibi, d’autres victimes chrétiennes persécutées au Pakistan, accusées de blasphème, obligées de se convertir, mariées de force, discriminées… » Voilà par ailleurs ce qu’affirmait le père Emmanuel Parvez en décembre dernier sur notre site : «  Nous, chrétiens, sommes méprisés. Nous sommes tenus à la discrétion, il n’est pas question pour nous d’utiliser des cloches dans nos églises, ou de boire de l’alcool en public. Pendant un temps, j’utilisais les hauts parleurs qui donnaient sur l’extérieur pour mes sermons. Je savais que les voisins musulmans entendaient et je choisissais bien mes mots, en espérant que cela participerait à la compréhension mutuelle. Plusieurs musulmans m’écoutaient et appréciaient mes sermons. Mais d’autres sont venus, et ils m’ont dit que si je faisais une seule erreur, ils allaient « tous nous finir ». J’ai éteint les hauts parleurs extérieurs, parce que la plus petite phrase peut être tordue pour devenir ce qu’ils appellent un blasphème. »

Avez-vous croisé, depuis que SOS Chrétiens d’Orient existe, des femmes exceptionnelles, laïques ou religieuses, saintes ou guerrières, engagées sur le terrain ou au niveau international ?

J’en ai croisé beaucoup au Proche-Orient : je pense à Jocelyne Kouheiry dont j’ai récemment évoqué le parcours dans une chronique de Politique Magazine. Jeune combattante de la résistance chrétienne au Liban, elle a formé avec ses camarades féminines une section de combat qui rivalisait avec les combattant les plus héroïques des phalanges chrétiennes. Elle a su aussi tirer des affres des dissensions de la résistance un appel à chercher le surnaturel au milieu de la guerre jusqu’à devenir un apôtre des enseignements de l’Eglise sur la famille au Liban et pour le monde puisqu’elle fut consultée dans les commissions organisées par saint Jean-Paul II et Benoit XVI sur ces questions.

Je pense également à ces sœurs syriennes qui continuaient à soigner les blessés à l’hôpital Saint-Louis de Damas malgré les obus que les islamistes envoyaient sur leur hôpital. À Alep, une communauté de sœurs a gagné une célébrité mondiale avec la photographie d’une roquette écrasée dans leur cour. Malgré leurs sourires et l’épuisement de leurs journées, nous savions bien qu’elles menaient la guerre de la prière pour que la paix revienne dans leur pays.

Comment oublier le dévouement des petites sœurs de la communauté de Sœur Emmanuel au Caire ? Il faut avoir senti la puanteur du quartier d’Ezbt-el-Nakhl pour connaître l’abandon de leur vie au Christ dans le soin des pauvres qu’elles aident au quotidien. Que dire des laïques qui s’occupent des handicapés mentaux dans un centre sans protection à Bagdad ? De celles qui reçoivent les « filles à problèmes » à Zarqa, en Jordanie, la ville de naissance d’Abu Moussab Al Zarkawi qui dirigea Al-Quaeda en Irak et dont l’action inspira la création de l’Organisation Etat Islamique ?

Mais j’ai aussi une pensée pour les volontaires de SOS Chrétiens d’Orient : les unes abandonnent une certaine superficialité bourgeoise si tentante en France, les autres découvrent des réalités bouleversantes alors qu’elles vivaient dans une certaine distance avec les réalités actuelles de la société française.

Dans la pureté de leur engagement les plus sceptiques d’entre nous peuvent continuer à puiser l’Esperance d’un redressement de notre pays, tant les Françaises sont grandes quand on leur propose des défis qui font appel à la noblesse d’âme.

En quoi l’action ou les propos de Jeanne d’Arc peuvent-ils, aujourd’hui, vous inspirer ?

L’action de Jeanne d’Arc nous inspire du fait de deux aspects essentiels de sa personne : Jeanne est française et elle est sainte.

Française d’abord, puisque le Seigneur lui donna de naître quelque part et de respecter la famille dont elle reçut l’éducation. Les poètes aiment tant d’ailleurs à décrire la piété de Jeanne pour ses parents. Sans doute parce qu’ils savent que cette réalité naturelle est le préalable à la piété patriotique : si l’on a pas aimé l’autorité proche, on appréciera difficilement l’autorité plus lointaine que forment un pays et son histoire. Les images qui semblent mièvres sont souvent les plus édifiantes : la petite paysanne obéissante et bergère n’est pas seulement une image d’Epinal, c’est une leçon de vie. Comme le courage, le patriotisme a ses degrés, ses étapes, ses sources réelles et ses sources artificielles.

En puisant à la source qu’est Jeanne, les volontaires de SOS Chrétiens d’Orient peuvent s’assurer de suivre un exemple qui n’est pas une forgerie. En méditant la fécondité littéraire de son histoire, ils peuvent comprendre que si Jeanne fut choisi pour être libérateur de la France, c’est en raison de la médiocrité de sa condition, de la discrétion de sa terre natale, de la banalité de son quotidien et de la spontanéité de sa foi. Et c’est aussi par l’accomplissement de leurs missions simples de Français que nos volontaires peuvent exercer au mieux leurs missions. Ils ne se lanceront pas dans des Business Plan à l’américaine pour aider des paysans orientaux, ils ne parleront pas un sabir technocratique à des martyrs de la foi , ils apporteront les petits cristaux de France qu’ils sont dans un Orient compliqué qu’ils auront à cœur d’aimer et d’aider. L’humilité du succès de Jeanne constitue, je crois, la meilleure des leçons pour ceux qui rêvent d’accomplir de grandes choses.

Dieu a donné à sainte Jeanne le formidable don d’insolence. Une insolence qui est vraiment libre car elle n’est ni une révolte contre l’ordre des choses ni une volonté d’humiliation mais une nécessité de dire le vrai pour justifier de ce qu’il fallait faire au nom de Dieu.

Evidemment, la sainteté de Jeanne surélève cette leçon et laisse percevoir qu’à sa naturalité immédiate, un plus grand dessein encore peut être offert. Elle est tout sauf une illuminée, c’est une sainte qui appelle donc à s’ouvrir à l’Universel. Un point m’intéresse prioritairement que Charles Maurras soulignait dans ses méditations sur Jeanne d’Arc : « Chez Jeanne d’Arc, la parole drue et fine, toujours pleine de sens, suivait aussi l’esprit le plus vif, le plus aisé qui ait jamais chanté sur l’arbre natal. Tout le contraire de cette mystique hallucinée et somnambule qu’une certaine légende a voulu imposer ! L’un de ses traits distinctifs est de voir et de dire, en tout, les raisons brillantes des choses : la première beauté de ses discours et de ses actes tient au degré de lumineuse conscience qu’ils manifestent. Nul être humain n’aura mieux su ce qu’il faisait et pourquoi il le faisait. C’est le triomphe de l’intelligence limpide.  » Dieu a donné à sainte Jeanne le formidable don d’insolence. Une insolence qui est vraiment libre car elle n’est ni une révolte contre l’ordre des choses ni une volonté d’humiliation mais une nécessité de dire le vrai pour justifier de ce qu’il fallait faire au nom de Dieu. Je crois qu’en cela, Jeanne est également enseignante pour notre engagement.

Votre responsable de pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe