SOS Chrétiens d'Orient : "Offrir de la nourriture aux Syriens sans l'autonomie, n'est pas une solution durable"

L'Incorrect

L’association SOS Chrétiens d’Orient réoriente son programme d’actions en Syrie pour des projets durables. L’objectif est de permettre aux Syriens d’atteindre l’autonomie, et ainsi de surmonter les eets des sanctions américaines à l’encontre du pays. Wael Kassouha, chef de mission Syrie de SOS Chrétiens d’Orient, nous explique ce nouveau plan d’actions. Entretien.

Quelles conséquences les sanctions américaines ont-elles sur la vie des Syriens ?

En principe, les sanctions sont censées n’affecter que le gouvernement syrien. Dans la réalité, c’est le peuple qui souffre de pénuries d’essence, de gaz donc d’électricité, de médicaments, de nourriture.

 

SYRIE
Type d'intervention

Tout a commencé avec des restriction sur l’importation de gaz et de fioul. Lorsque la Syrie tente d’en importer, les navires sont bloqués au niveau du canal de Suez par les pays limitrophes sous influence américaine. Ces restrictions ont une incidence sur toute la vie quotidienne : impossible de faire son plein d’essence, c’est devenu beaucoup trop cher. Dans un second temps, ces pénurie ont atteint le secteur industriel : montée des coûts de production, donc montée des prix. Également, sans pétrole, plus de production d’électricité, et plus d’alimentation pour les maisons.

Les hôpitaux manquent de matériel et de médicaments. À cause des sanctions, tout est très difficile à importer. En principe, les produits médicaux ne devaient pas être concernés par les restrictions. En réalité, ils le sont de manière indirecte, par des pressions. Lorsqu’un chef d’hôpital veut acheter

un nouvel appareil, le paiement sera bloqué par la banque car le foyer fiscal est en Syrie. Tout est devenu trop cher à cause des difficultés d’importation, et les opérations chirurgicales inaccessibles pour la population.

Où et comment agissez-vous ?

Nous agissons dans les grandes villes – Damas, Alep, Mhardeh – et également dans les petits villages. Nous importons du matériel médical, par exemple une machine de stérilisation pour un hôpital à Alep. Nous prenons également en charge les frais d’hospitalisation pour les familles qui ne peuvent pas payer. Dans les zones plus isolées, le problème concerne davantage l’achat de nourriture. Avec la dévaluation de la livre syrienne, les salaires ont beaucoup baissé.

S’il n’y a pas d’électricité ni d’essence, cela doit être compliqué pour reconstruire une maison, une école, un village. Comment les Syriens s’organisent-ils ?

Ceux qui peuvent prendre en charge individuellement la reconstruction de leur maison ne représentent que 0.05% de la population. Pour les autres, ce sont les associations comme SOS Chrétiens d’Orient et les églises qui prennent en charge la reconstruction. Malheureusement, ces projets de reconstruction sont freinés à cause des sanctions américaines, la non-reconstruction faisant partie des sanctions.

Donc en plus des restrictions sur les importations, on ne peut pas mener de projet humanitaire dans le pays ?

Normalement, l’humanitaire n’est pas inclus dans les sanctions, mais les prestataires (banques, etc) ne veulent pas être accusés d’enfreindre des sanctions et restrictions américaines.

Y compris pour l’importation de médicaments et de nourriture ?

Comme plus personne ne veut prendre le risque de vendre directement à la Syrie, les ONG et institutions achètent dans des pays frontaliers et importent par des camions.

Avec la dévaluation de la livre syrienne, comment les gens subviennent-ils à leurs besoins ?

Ceux qui travaillent dans le secteur privé ont augmenté leurs prix, pour compenser la dépression monétaire. Les autres touchent des salaires mensuels très bas, et ne mangent presque rien. Pour vous donner une idée : 1 kg de viande vaut actuellement 25 000 livres syriennes, tandis que le salaire moyen se situe autour de 50 000 livres.

Comment agit SOS Chrétiens d’Orient pour remédier aux pénuries de nourriture et de médicaments ?

Avant, nous menions presque exclusivement des projets de soutien alimentaire et énergétique. Les volontaires effectuaient des visites chez les familles et évaluaient les besoins afin de leur faire parvenir des colis. Aujourd’hui, notre vision a changé. Notre but est désormais de lancer des projets durables comme l’installation de panneaux solaires par exemple.

En quoi des panneaux solaires constituent-ils une aide pour les familles ?

Les panneaux solaires sont fournis aux hôpitaux, aux écoles pour qu’ils bénéficient de l’électricité nécessaire, mais surtout pour faire fonctionner les pompes à eaux. En ce moment, beaucoup de familles sont obligées d’acheter de l’eau potable, car elles n’ont plus d’électricité et ne peuvent plus puiser l’eau. Nous menons actuellement quatre projets de ce type, qui nécessitent un investissement 350 000 dollars.

Cela va libérer des revenus aux familles. Néanmoins, continuerez-vous à distribuer des colis alimentaires ?

Oui, notamment pour les personnes âgées dont plus personne ne s’occupe et les familles les plus démunies. Mais cela restera très limité : environ 500 personnes par mois. Nous souhaitons désormais réorienter notre action humanitaire sur des projets durables, afin d’offrir aux Syriens l’autonomie. Donner de la nourriture, sans permettre l’autonomie des familles n’est pas une solution.

Menez-vous des campagnes de dons pour ces projets-là ?

Oui les campagnes de dons ont déjà commencé, mais nous avons toujours besoin de soutien et surtout de volontaires. Les volontaires sont essentiels : ils lancent de petits projets, ils assurent le contact avec la population. L’effet de la présence réelle des volontaires français en Syrie est très bénéfique. Cela montre aux Syriens qu’il y a une vraie différence entre le gouvernement et le peuple français.

Envoyer des volontaires coûte de l’argent. Or pour poser des panneaux solaires, cela ne change pas grand-chose que ce soient des volontaires français ou des Syriens. Est- ce si important d’envoyer des Français ?

La présence des volontaires français a plusieurs effets que ce soit moralement ou socialement. Les volontaires prennent en charge leurs billets, ils travaillent à déblayer les gravats des maisons bombardés, ils donnent des cours. Ils apportent un vrai soutien quand ils visitent un orphelinat, qu’ils dispensent un programme d’activités ludiques pour sortir les enfants de leur quotidien. Il y a aussi les discussions qui sont très importantes. Certains sont même en capacité d’offrir un soutien psychologique. Et tout cela bénévolement. Cela coûterait beaucoup plus cher si nous faisions appel à des Syriens. Certains volontaires tiennent même des postes à responsabilité sur place.

Un article de Aurore Leclerc

Votre responsable de pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe