Saiful Malook, avocat d’Asia Bibi : "C’est une femme très forte"

Paris Match

Paris Match a pu rencontrer l’avocat d’Asia Bibi, chrétienne pakistanaise condamnée à mort pour blasphème puis acquittée fin octobre après neuf ans de prison. Saiful Malook, réfugié au Pays-Bas suite à des menaces de mort, était de passage à Paris mardi et mercredi à l’invitation de l’association SOS Chrétiens d’Orient.

Il est l’une des victimes méconnues d’une histoire qui en compte déjà bien trop. Même si Saiful Malook, qui a manifestement sa fierté, répugnerait sans doute à se définir comme tel. L’homme est depuis quatre ans le défenseur d’Asia Bibi (Aasiya Noreen, de son vrai nom), cette paysanne condamnée à mort (en première instance et en appel) pour un prétendu blasphème remontant à 2009. Le 31 octobre, après des années de bataille judiciaire, il décroche l’acquittement de sa cliente auprès de la Cour suprême du Pakistan. Mais le bonheur sera de courte durée. Trois jours plus tard, il doit fuir aux Pays-Bas. Le climat est devenu bien trop dangereux, alors que des foules d’islamistes appellent en réaction à la pendaison de l’acquittée et au meurtre de ses juges et avocats. Après avoir hébergé Saiful Malook, l’ambassade de France l’aide à quitter le pays le 3 novembre. A son arrivée en Hollande, il est pris en charge par une association de défense des chrétiens dans le monde, la HVC.

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Le juriste de 63 ans s’était pourtant collé une cible dans le dos avant même d’avoir repris le dossier Asia Bibi, en 2014. L’homme de loi respecté avait officié comme procureur lors du procès de Mumtaz Qadri. Ce dernier avait assassiné Salman Taseer, gouverneur du Pendjab, soutien d’Asia Bibi et voix très critique de la loi pakistanaise sur le blasphème. En se faisant l’accusateur de Mumtaz Qadri, Saiful Malook suscitait l’ire des extrémistes pakistanais. En devenant l’avocat de la paysanne catholique, il aggravait définitivement son cas.

Traits distingués, costume et cravate jaune, l’avocat nous reçoit dans les locaux de l’association SOS Chrétiens d’Orient, qui l’a invité pour étudier des projets de défense des minorités au Pakistan. D’une voix douce et un peu traînante, l’ex-ténor du barreau se livre sans retenue sur l’affaire qui lui a coûté son métier, sa position sociale et son pays. Mais pas sa dignité. Saiful Malook reste toutefois prudent dès lors qu’on aborde la question du gouvernement pakistanais.C’est qu’après l’acquittement d’Asia Bibi, le Premier ministre Imran Khan a semblé composer avec les islamistes, accédant à leur demande de faire examiner par la justice une pétition contre la libération de la chrétienne. Si le gouvernement pakistanais a depuis réprimé les extrémistes, Asia Bibi n’a toujours pas pu quitter le Pakistan. Pourtant une question de vie ou de mort, comme pour son avocat.

Paris Match. Quelle est la situation d’Asia Bibi actuellement?
Saiful Malook. Elle est toujours à Islamabad, avec son mari, dans un lieu tenu secret et protégée par les autorités pakistanaises. Comme vous le savez, plusieurs religieux ont appelé à son assassinat après la décision de la Cour suprême de l’acquitter. Ses deux filles sont avec la première femme de son mari, à Lahore.

Quels pays seraient susceptibles de lui accorder l’asile ainsi qu’à sa famille?
Plusieurs états se sont dit prêts à examiner sa demande, comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la France. Selon mes informations, il y a de bonnes chances qu’elle aille au Canada.

La Grande-Bretagne, en revanche, n’a pas montré beaucoup d’empressement…
J’en ai discuté avec un député européen britannique du parti conservateur, qui m’a répondu : « Nous n’avons pas besoin d’un deuxième Salman Rushdie, qui nous a coûté des millions pour assurer sa sécurité « . C’est très décevant. Sur ce genre d’affaire, les états ne devraient pas raisonner en termes de coût mais en termes moraux.

Où sera-t-elle le plus en sécurité, selon vous?
Dans n’importe quel pays développé en Occident. Vous savez, c’est une femme sans instruction, qui habitait dans un petit village au milieu de nulle part. Elle n’aspire qu’à pouvoir vivre une existence normale avec sa famille. Finalement, la problématique sécuritaire se posera peut-être davantage pour moi, puisque je serai amené à témoigner ou à m’exprimer publiquement ici et là.

Mais Asia Bibi doit avoir l’autorisation des autorités pakistanaises pour quitter le pays, non?
Le Pakistan n’a aucun droit de l’empêcher de partir. Après la décision de la Cour suprême en sa faveur, elle est officiellement libre. Mais il lui faut d’abord solliciter un visa au titre de l’asile. C’est probablement une question de jours, désormais.

Quand l’avez-vous vue pour la dernière fois?
Le 10 octobre, dans sa prison de Multan. 3 semaines avant son acquittement.

Comment était-elle?
Très joyeuse, sereine, en forme. C’est une femme très forte. Alors qu’elle a passé neuf ans dans une cellule de la taille de cette pièce (environ 5 m2, ndlr), avec ses surveillants pour seul contact. C’est le régime de mise pour les condamnés à mort. Mais même après son procès perdu en appel, on aurait dit qu’elle gardait espoir. Je pense que c’est dû à sa forte personnalité et aussi, sans doute, à sa foi. Deux jours avant son audience à la Cour suprême, elle avait fait un rêve dans lequel les portes de la prison s’ouvraient. «Ce n’était pas un rêve, c’était un message de Jésus-Christ», m’a-t-elle assuré.

Que pensez-vous de l’arrestation récente de nombreux chefs et militants du TLP (Tehreek-e-Labbaik Pakistan, parti islamiste radical qui a organisé des manifestations massives suite à l’acquittement d’Asia Bibi et appelé au meurtre de ses juges et défenseurs, ndlr)?
C’est une très bonne chose pour le Pakistan mais aussi pour le monde. Ce sont les mêmes genres de personne, talibans ou terroristes de l’État islamique, que les Américains ont combattu en Afghanistan. Ils ne représentent qu’un petit groupe au sein de la société pakistanaise mais comme ils n’avaient jusqu’à présent jamais eu à craindre la main de fer du pouvoir, ils se croyaient autorisés à tout. Y compris à défier l’autorité de l’état et ses serviteurs.

L’extrémisme a-t-il progressé au Pakistan ces dernières années?
Oui. Le tournant a été le règne du général Zia-ul-Haq, dans les années 1980. Avec la bienveillance et l’assistance des Etats-Unis, qui avaient besoin du Pakistan pour contrer les soviétiques en Afghanistan, Zia-ul-Haq a popularisé l’idée de guerre au nom de la religion. Comme il n’avait ni parti politique ni soutien populaire, il s’est appuyé sur la religion pour gouverner. Il a distribué de l’argent, des postes ou des portefeuilles de ministre à des mollahs. C’est à cette époque que la loi sur le blasphème a été introduite, avec les sanctions afférentes : peine de mort ou prison à vie. Mais si l’extrémisme a pu se développer à ce point, à mon sens, c’est d’abord en raison de la pauvreté et de l’absence d’éducation.

Imran Khan, Premier ministre depuis août, peut-il combattre la progression de l’intégrisme?
Il l’a déjà fait, en mettant derrière les barreaux les mollahs du TLP. Que de tels personnages soient arrêtés et formellement accusés de sédition et de terrorisme, ça n’était jamais arrivé auparavant.

Quelle est la position de la population pakistanaise vis-à-vis de la loi sur le blasphème?
Tout le monde soutient cette loi au Pakistan, à condition qu’elle ne soit pas utilisée à mauvais escient.

Est-ce le cas actuellement?
Tout à fait. Beaucoup ont recours à l’accusation de blasphème pour régler des différents personnels. Mais les plus nombreux à être accusé sont les musulmans eux-mêmes. Je dirai que les chrétiens représentent à peine 25% des affaires *.

S’il y a tant d’affaires liées à la loi sur le blasphème, pourquoi celle d’Asia Bibi a-t-elle à ce point mobilisé l’attention mondiale?
C’est une question que vous devriez plutôt poser aux médias occidentaux ou aux églises d’Occident.

Est-ce liée à sa condition de chrétienne?
Bien sûr. Des tas d’ONG ont d’ailleurs récolté des millions de dollars grâce à ce qui est devenu une affaire symbolique des droits des minorités religieuses. Une partie de cet argent est allée à la famille d’Asia Bibi, ce qui lui a permis de vivre pendant toutes ces années.

Vous semblez considérer que la pression internationale n’a pas forcément joué de rôle dans le dénouement heureux de l’affaire Asia Bibi…
Je dis souvent que la Cour suprême du Pakistan est plus indépendante que la Cour suprême américaine. Laisser entendre que sa décision a été motivée par des pressions extérieures, c’est faire insulte à cette institution et à ses juges.

Vous vous définissez comme musulman. Quelle est votre position sur l’affaire Asia Bibi en tant que musulman?
Les avocats, les juges ou les médecins n’ont pas de religion lorsqu’ils pratiquent leur métier. Ils ne travaillent pas en tant que musulman, chrétien ou juif mais en tant que professionnels. Quand j’ai repris le dossier d’Asia Bibi, je me suis appuyé sur les textes de loi et j’ai constaté que les preuves requises pour une condamnation n’existaient pas. J’ai travaillé sur des fondements juridiques, pas en me demandant si untel était musulman ou untel, chrétien.

Comment envisagez-vous votre avenir désormais?
Pour l’instant, je n’en ai pas. Mon cabinet est fermé, je ne peux plus gagner mon pain quotidien. Ma famille est encore au Pakistan, sous protection policière.

Avez-vous demandé l’asile aux Pays-Bas, où vous résidez actuellement?
Non.

Pourquoi?
Parce que je ne suis pas un réfugié, je suis un avocat expérimenté qui a sorti de prison une femme dont l’histoire a fait hurler tout le monde chrétien. Je ne fais pas l’aumône.

Souhaitez-vous rentrer au Pakistan?
Peut-être. Nous verrons. Cela dépendra aussi de mes perspectives en Europe, qui sont pour l’instant incertaines.

Quand vous considérez tout ce que cette affaire aura impliqué pour vous, vous n’avez pas de regrets?
Aucun. En Occident, tout le monde me regarde comme un héros aujourd’hui (sourire). C’est très réconfortant.

* Pour environ 2% de la population. 

Votre responsable de pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe