« Les chrétiens étaient à Gaza avant l’arrivée de l’islam »

Boulevard Voltaire

Ce jeudi 19 octobre, dans cette bande de Gaza, théâtre d’affrontements sanglants et de représailles israéliennes, une église grecque orthodoxe, Saint-Porphyre, a été touchée par un bombardement. Dans son communiqué, l’AED [Aide à l’Église en détresse, NDLR] déplore le décès « d’au moins 16 chrétiens, dont 10 d’une même famille », et « 15 autres d’entre eux coincés sous les décombres ». L’occasion de se souvenir qu’en Palestine vit et meurt aussi une population chrétienne. Marc Fromager est directeur de l’information de l’association SOS Chrétiens d’Orient, il répond aux questions de BV.

LIBAN
Type d'intervention

Sabine de Villeroché. Qui sont les chrétiens qui vivent à Gaza et dans l’ensemble de la Palestine, combien sont-ils ?

Marc Fromager. On finit par l’oublier mais, en effet, il y a des chrétiens à Gaza comme dans toute la région, et en réalité, ils étaient là avant l’arrivée de l’islam. Les premiers chrétiens sont arrivés à Gaza dès les temps apostoliques. Même si c’est difficile à imaginer aujourd’hui du fait de la situation chaotique dans laquelle la ville et le territoire avoisinant sont plongés, Gaza a autrefois été une grande ville puissante au croisement de routes commerciales à l’intersection de l’Égypte et du Levant. Il y a eu des églises, des monastères et des saints, dont saint Porphyre, qui a donné son nom à l’église endommagée le 19 octobre et qui était évêque de la ville jusqu’à son décès en 420 !

Si l’on se concentre sur notre époque, la communauté chrétienne de Gaza n’a cessé de diminuer, ces dernières années, comme d’ailleurs dans le reste de la Terre sainte. Jérusalem était à 25 % chrétienne, il y a un siècle, et maintenant à moins de 1 % (10.000 chrétiens). Bethléem était une ville majoritairement chrétienne au moment de la création de l’État d’Israël, mais ne compte plus que moins de 10 % de la population actuellement. Il y a 15 ans, Gaza comptait encore 3.500 chrétiens, moins de 1.000 actuellement, soit une baisse de 70 % en une grosse décennie.

La plupart sont grecs-orthodoxes, les autres latins. C’est une différence de rites, mais il s’agit tous de Palestiniens, les latins étant catholiques. La paroisse catholique de la Sainte Famille est à 500 m de l’église Saint-Porphyre et la plupart des personnes qui s’étaient réfugiées dans le bâtiment jouxtant l’église et qui a été partiellement détruit sont maintenant hébergées dans le centre de l’église catholique. Les sœurs de Mère Teresa sont présentes et s’occupent notamment de personnes handicapées et âgées.

S. d. V. Quelle était leur situation avant l’explosion du conflit Hamas-Israël du 7 octobre?

 

M. F. Comme partout, en Terre sainte, la situation des chrétiens était déjà devenue compliquée. Ils se retrouvent pris en étau entre les juifs, qui les traitent comme des Palestiniens, et les Palestiniens musulmans, dont une partie s’est radicalisée, et qui leur font sentir qu’il serait temps pour eux de partir ou de se convertir à l’islam. En réalité, leur sort est souvent moins compliqué en Israël qu’en Palestine, car leur citoyenneté israélienne – je rappelle que les Palestiniens forment 20 % de la population israélienne – leur donne tout de même un ensemble de droits et un quotidien plus enviables que dans les territoires palestiniens.

À Gaza, la situation était de plus en plus compliquée. La mainmise du Hamas et l’embargo israélien ont fini par transformer la bande de Gaza en prison à ciel ouvert où 2,2 millions de personnes vivent dans un enclos de 365  km2. Malgré tout l’argent qui se déverse à Gaza en provenance du Qatar et de l’Union européenne notamment, le quotidien de la population gazaouie n’a cessé de se dégrader. Pour les chrétiens, c’est un peu la double peine, le sort de la communauté chrétienne n’intéressant que très peu le Hamas.

Depuis le 7 octobre, les chrétiens de Gaza se retrouvent comme leurs voisins musulmans, coupés du monde et bombardés, et dans l’attente d’une opération terrestre de grande envergure de l’armée israélienne qui exige de la population de se réfugier dans le sud de la bande de Gaza. Mais tout le monde ne peut pas partir et, surtout, ne sait pas où aller. Les chrétiens se réfugient donc autour de leurs églises, même si ce n’est pas toujours une garantie de sécurité, comme on vient de le voir avec le bombardement du centre attenant l’église Saint-Porphyre.

S. d. V. Quelle serait la planche de salut pour la communauté chrétienne ? 

M. F. Comme dans le reste de la Terre sainte voire du Proche-Orient, la plupart des chrétiens qui en avaient les moyens sont déjà partis. Ceux qui restent n’ont soit pas les moyens financiers ni les relais familiaux pour les accueillir, soit tout simplement pas la possibilité administrative (visas, notamment) de partir. À Gaza, plus personne ne peut sortir maintenant, même si les autorités israéliennes imaginaient qu’une partie de la population gazaouie trouverait refuge en Égypte. Or, l’Égypte n’en veut pas et la frontière est verrouillée. En réalité, personne n’en veut. La Terre sainte est entourée de pays très majoritairement musulmans dont certains sont riches et on pourrait imaginer qu’ils interviendraient pour aider les Palestiniens, ne serait-ce que pour venir au secours de leurs frères musulmans.

Cela étant, la dernière fois que cela s’est produit – avec l’exode massif de Palestiniens en Jordanie –, cela s’est mal terminé. En septembre 1970 – septembre noir – et devant la matérialisation apparente d’un État dans l’État et la tension croissante au sein du pays, la Jordanie ordonna l’expulsion d’une partie importante de la population palestinienne refugiée sur son sol. Le seul pays à les accueillir fut le Liban, encore majoritairement chrétien à l’époque, mais qui en paya ensuite le prix : la guerre civile, sur fond de guérilla palestinienne qui débuta en 1975.

Où les chrétiens de Gaza pourraient-ils partir ? Et est-ce souhaitable ? Évidemment, la plupart souhaiteraient sans doute partir si cela était possible, mais peut-on souhaiter la disparition définitive du christianisme dans la région ? L’Église n’abandonne pas et espère toujours dans l’avenir. Un jour, le Proche-Orient sera en paix et d’ailleurs, on s’en approchait (apaisement et rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran, accords de paix qui étaient sur le point d’être signés entre l’Arabie saoudite, toujours, et Israël…). C’est donc quelque chose d’envisageable, même si la crise actuelle semble tout compromettre. Espérons pour les chrétiens et tous leurs voisins que cette paix à laquelle la plupart aspirent finira par se concrétiser.

Votre responsable de pôle

Pauline Visomblain

Responsable relations presse