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Charles de Meyer : « Nous apportons une aide matérielle concrète aux victimes, prises entre la guerre et les premières intempéries »

L'Incorrect

Visée par une enquête de Mediapart, l’association SOS Chrétiens d’Orient ne semble pourtant pas déstabilisée, ayant même réussi l’exploit d’agir pour que l’archevêque de Mossoul, Monseigneur Najeeb soit en lisse pour le prix Sakharov décerné par le Parlement européen. Rencontre.

Vous avez récemment été attaqués par Mediapart. Où en êtes-vous ?

Pour tout dire, nous sommes un peu vexés d’avoir été attaqués par de telles nullités. Mais nous avons surmonté cette déception et pour nous, c’est déjà du passé. Résumons ; quand nous avons vu que ces pigistes passaient des mois à interroger nos amis ou anciens volontaires, nous nous sommes dit : « Mediapart, c’est malveillant certes, mais ça doit être sérieux. A la sortie de leur article, il y aura peut-être une remise en question à faire, une prise de conscience sur des erreurs qu’ils vont nous révéler… A quelque chose, malheur sera bon. » Autant dire que nous étions effondrés en découvrant la misère de leurs procédés et la pauvreté de leurs questions – envoyées comme pour un interrogatoire de police, uniquement à charge, pour piéger et certainement pas pour comprendre…

Arménie
Type d'intervention

Contrairement à leurs victimes habituelles, nous n’avons pas cédé à l’intimidation. Nous avons rendu nos réponses publiques car nous n’avions rien à nous reprocher. Comprenant que ça n’allait pas être aussi facile qu’avec un Fillon ou autre, ils ont pris des précautions pour éviter les procès en diffamation et opté pour ce que j’appelle « la stratégie du pâté d’alouette », du nom de cette recette frauduleuse : cent kilos de cheval, dix grammes d’alouette… Là, c’est pareil : dix pages d’attaques et d’insinuations fielleuses, deux lignes de précaution oratoire pour éviter le procès ou le droit de réponse.

Mediapart c’est dix pages d’attaques et d’insinuations fielleuses, deux lignes de précaution oratoire pour éviter le procès ou le droit de réponse Par exemple ? 

Par exemple, nous serions complices de crimes de guerre, parce que nous aidons les habitants de Mhardeh, en Syrie, à résister aux attaques des djihadistes et que nous ne sommes « pas neutres face à Al Qaïda » (sic). L’ennui, c’est d’abord que nous assumons parfaitement de ne pas être neutres face à la barbarie, comment pourrait-il en être autrement ? Et ensuite, qu’ils sont obligés d’admettre que les « experts en crimes contre l’humanité » (re-sic) qu’ils ont consulté, ont répondu que leurs accusations (extrêmement graves) ne pouvaient être démontrées… J’ai envie de dire : « Alors mange ton torchon et va apprendre ton métier ! » Plus loin, ils condamnent nos protocoles d’action en Syrie, nous accusant d’être au service du gouvernement. Puis ils admettent en une ligne que ces reproches sont également faits à… l’UNHCR ! En gros, nous serions coupables, dans un pays en guerre, de nous plier aux mêmes règles que l’ONU. Là où ils sont vraiment malhonnêtes, c’est qu’ils auraient peut-être dû comparer avec les associations travaillant – par exemple ! – dans la zone d’Idlib, tenue par les djihadistes. Là-bas, de très grosses ONG doivent se faire enregistrer auprès des autorités locales, c’est à dire le groupe Hayat Tahrir al-Cham, soit la nouvelle émanation d’Al Qaïda en Syrie. Loin de moi l’idée de reprocher à nos confrères humanitaires de se plier aux lois des héritiers de Monsieur Ben Laden. Je comprends qu’ils n’ont pas le choix s’ils veulent soulager la détresse humaine dans cette zone. Pour notre part, la position de SOS Chrétiens d’Orient est simple : nous travaillons légalement dans les pays d’accueil. Outre que c’est notre conception de l’action caritative, c’est indispensable pour obtenir des visas, des permis de construire, etc. Mais les pigistes de Mediapart, qui ne vont jamais sur place, n’ont pas compris que la réalité est parfois complexe.

Envisagez-vous une suite judiciaire ?

Nous avons déposé une plainte, contre l’un des protagonistes de cette affaire. Deux de nos partenaires affirment en plus avoir été contactés par des journalistes se faisant passer pour des membres de SOS Chrétiens d’Orient. L’un d’eux aurait eu la bêtise de laisser un courriel. Si c’est exact, il s’agit d’une usurpation d’identité et c’est pénal. Pour le reste, nos avocats étudient l’utilité d’une action judiciaire. Mais notre cas particulier doit surtout avoir valoir d’exemple face à ce genre d’attaque malveillante. Après le pâté d’alouette, permettez-moi de vous livrer la recette du « pigiste grillé » : d’abord être irréprochable (il faut cuisiner avec les mains propres). Ensuite, ne pas se laisser intimider, expliquer, riposter point par point, jusqu’à forcer le pigiste malveillant à dégonfler sa propre baudruche ; puis oublier sur le feu, car tout cela n’est ni intéressant, ni ragoûtant…

Jugez-vous dangereuse la publicité faite par Mediapart pour vos membres présents au Moyen-Orient ? Vous-ont-ils en conscience placée une cible dans le dos ? On se souvient de la récente prise d’otages qui avait ému la France et provoqué la mobilisation du gouvernement… Là, c’est plus sérieux. En nous présentant comme une association islamophobe, en prétendant que nous équipons une milice armée, ils nous exposent clairement, oui. Est-ce par bêtise et inconscience, au sens où ces journalistes d’appartement (comme il y a des chats d’appartement) ignorent tout des réalités du terrain et n’ont pas conscience que les mots ont une portée ? Est-ce par malveillance, en souhaitant des morts dans nos rangs ?

Il faudrait leur poser la question. Pourquoi votre association est-elle la seule visée par de telles enquêtes alors que de nombreuses ONG dotées d’importants budgets agissent partout dans le monde dans l’indifférence générale sans qu’on ne sache rien de la nature de leurs actes sur le terrain ? Je pense sincèrement que c’est parce que ces journalistes ne peuvent admettre que l’action humanitaire n’est pas le monopole de la gauche et l’extrême gauche. Mais au fond, nous sommes ravis de ces attaques car Mediapart constitue un peu l’élite de cette presse militante. Leurs pigistes tournaient autour de nous depuis deux ans, parfois. Dans trois articles de dix à quatorze pages, ils ont produit ce qu’ils avaient de plus fielleux contre nous. C’est à dire rien. Comme je vous le disais au début de cet entretien, pour nous c’est déjà du passé. Nos équipes, en communication ou sur le terrain, n’ont pas de temps à perdre et sont déjà sur des projets véritablement importants : la candidature de Monseigneur Najeeb pour le prix Sakharov, la reconstruction de Beyrouth, la guerre au Haut-Karabakh …

La présentation de monseigneur Najeeb (archevêque de Mossoul en Irak) pour le prix Sakharov est-elle en partie un succès imputable à l’action et à l’influence de Sos Chrétiens d’Orient ?

C’est avant tout une proposition de l’ancien ministre Thierry Mariani, député français et président de l’intergroupe Chrétiens d’Orient au Parlement européen. Mais incontestablement, de la même manière que notre association a activement contribué à la création de cet intergroupe, nous avons aussi soutenu la candidature de Monseigneur Najeeb. Nous l’avons accueilli et accompagné durant sa visite à Bruxelles, car nous coopérons étroitement avec lui depuis 2014. Nous étions les premiers humanitaires français à travailler avec lui, lorsqu’il a ouvert deux camps de réfugiés au Kurdistan d’Irak. Depuis, nous ne nous sommes pas quittés et nous accompagnons également son travail de numérisation et de sauvegarde des manuscrits anciens d’Irak. Il était logique que nous nous mobilisions pour lui permettre de rencontrer le plus de personnalités possible, à l’occasion de sa candidature pour le prix Sakharov. Nous avons réussi le tour de force de le faire sortir de la masse des 25 candidats en lice pour arriver dans les trois premiers ! 

Qu’est-ce qui le distingue ? Monseigneur Najeeb mériterait ce prix plus que n’importe qui d’autre, car, malgré les mérites probables de ses deux derniers concurrents (un opposant biélorusse et un militant LGBT), il est le seul à avoir concrètement sauvé des vies et un patrimoine millénaire menacé d’une destruction imminente. Il l’a fait au péril de sa propre vie. A ma connaissance, aucun de ses « concurrents » ne peut en dire autant.

Avez-vous des informations à nous donner sur le conflit actuellement en cours au Haut-Karabakh opposant l’Arménie et l’Azerbaïdjan ?

C’est une région où nous allons aider les chrétiens en difficulté depuis trois ans, déjà. Par un terrible concours de circonstances, et après un long retard lié au Covid 19, nous avons officiellement ouvert notre mission sur place, en un temps record, au moment où le conflit se réveillait. Actuellement, nous y avons l’équipe permanente, ainsi que notre directeur des opérations et deux communicants de l’équipe parisienne, car notre mission est de porter la lumière sur ce genre de drame. Ils sont arrivés par Goris, noeud central de l’aide aux populations, dernier point de passage avant de pénétrer dans l’Artsakh. L’objectif est d’apporter une aide matérielle concrète aux victimes prises entre la guerre et les premières intempéries. Il s’agit d’un conflit moderne, qui voit drones et pièces d’artillerie faire des ravages dans les tranchées arméniennes. Dans ces sillons boueux, battus par la pluie et le vent, des vétérans de la guerre de 1988 forment les jeunes volontaires engagés depuis la mobilisation. La même violence règne au cœur de Stepanakert, capitale de l’Artsakh, lourdement bombardée par l’armée azérie. Notre équipe a profité d’une accalmie de quelques minutes, entre deux alertes, pour décharger l’équipement apporté : des sacs d’urgence « trauma » pour les équipes de la sécurité civile, de grandes quantités de consommables médicaux ainsi que des attelles en tous genres, des radios pour coordonner les efforts des secouristes et des médecins ainsi que des denrées pour les habitants de la ville….

Vous êtes également actifs à Beyrouth, récemment meurtrie par une importante explosion qui a causé de nombreux dégâts matériels et humains…

Nous avons une mission permanente à Beyrouth depuis 2014. Nous étions donc aux premières loges au moment de cette explosion. D’autant que notre siège se trouve dans le quartier chrétien de Achrafieh, voisin du port. Immédiatement après l’explosion, j’ai pris contact avec notre chef de mission. Il a fait un état des lieux, effectué les aides indispensables pour notre entourage immédiat et mis ses volontaires à l’abri, dans la montagne, le temps de mesurer la dangerosité du nuage orange qui planait sur la ville. Puis nous avons pris contact avec l’hôpital de la Quarantaine, pour participer à sa reconstruction, notamment toute la partie néo-natalité et prématurés, que nous avions financée, il y a quelques années… Nous participons aussi à la reconstruction des maisons, de commerces. Enfin, nous avons acheté pour trois millions d’euros de médicaments qui seront prochainement livrés à Beyrouth. Comment nous, simples citoyens français, pouvons-nous aider à remplir à vos objectifs ? Vous nous aidez déjà beaucoup en me permettant de sensibiliser vos lecteurs à la situation, souvent tragique, des chrétiens d’Orient ! Ceux qui le souhaitent peuvent nous aider financièrement, bien sûr, par un don défiscalisable à 66%. Ou, s’ils ont un mois ou plus devant eux, ils peuvent venir aider les chrétiens sur place, dans l’un de nos sept pays d’intervention. Tout le monde peut s’engager, étudiant ou retraité, avec un métier spécialisé ou sans qualification particulière. L’important est d’être prêt à aider et, accessoirement, à vivre une belle aventure !

Un article de Gabriel Robin

Votre responsable de pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe