Entretien avec Tanneguy Roblin, responsable adjoint de la mission SOS Chrétiens d’Orient en Irak.
Depuis la route qui le mène d’Ankawa (Kurdistan) à Batnya (Irak), petit village chrétien récemment libéré par les forces de libération, Tanneguy Roblin nous raconte l’évolution des combats dans la vallée de Ninive.
Aleteia : Quelles sont vos activités depuis le lancement de l’offensive ?
Tanneguy Roblin : Pour les volontaires de l’association, il s’agit d’assurer un maximum de présence et d’accompagnement auprès des populations réfugiées. Au-delà du soutien matériel nous échangeons et nous prions beaucoup avec eux.
Avez-vous eu des nouvelles du front et particulièrement de Qaraqosh ?
L’armée irakienne et les forces kurdes avancent très vite. Mais il est hélas trop tôt pour parler de la libération de Qaraqosh. Si la ville est occupée par 9 000 soldats irakiens, Daesh a laissé environ deux cents tireurs isolés et des milliers d’IED (bombes artisanales) et de mines. Nous avons eu notamment dans la journée trois combattants des milices chrétiennes qui ont été blessés dont un sérieusement.
Daesh a donc largement piégé les endroits que ses combattants abandonnent ?
En effet, et pas seulement les villes et villages ! La plaine elle-même est truffée de mines et un mince cordon jalonné de drapeaux rouges signalent aux véhicules un itinéraire sécurisé dont il est mortel de s’éloigner.
Malgré le danger, on a vous a vu très présents auprès des combattants, notamment les Peshmergas kurdes. Quelle en est la raison ?
Les Kurdes ont accueilli les minorités dont les chrétiens qui fuyaient l’avancée de Daesh. Il est important pour nous de les remercier et de leur apporter notre soutien. Comme ils ne sont pas employés en première ligne dans le siège de Mossoul qui se prépare, ils s’apprêtent donc à passer l’hiver dehors. Nous leur avons donc fourni des couvertures et des vêtements chauds pour affronter les premiers froids. Nous avons également ouvert un dispensaire médical pour les combattants sur le front de Gwer (sud-est de Mossoul).
Les Kurdes sont des musulmans sunnites. Sont-ils sensibles au sort des chrétiens au Moyen Orient ?
Je vais vous citer un général kurde, le général Tarik : « On se moque des religions des uns et des autres, je suis musulman, je me bats au côté de chiites, de chrétiens… Ici la seule chose qui compte c’est que nous sommes avant tout des frères d’arme ». D’autre part les soldats kurdes gardent un moral pour l’instant excellent. Les victoires se succèdent et ils profitent pleinement de la bonne dynamique en cours.
Toutefois, lorsqu’on se penche sur le passé, il est difficile d’imaginer une grande fraternité entre l’armée irakienne et les forces kurdes…
C’est ce que je pensais aussi… Toutefois la collaboration entre les deux armées se passe bien, à ma connaissance, et pour les armées autour de Batnya, extrêmement bien et dans un climat de confiance. J’ajouterai qu’il y a aussi des milices chrétiennes engagées dans ces affrontements notamment le NPU (The Nineveh Plain Protection Units) et le NPF (Nineveh Plain Forces).
De nombreux villages chrétiens ont été libérés, comment va se dérouler la réinstallation des populations ?
On n’en est pas encore là malheureusement. Il y a avant cela plusieurs urgences. Premièrement il faut effectuer un long et pénible travail de déminage. Comme vous avez pu l’apprendre, Daesh abandonne du terrain non sans laisser énormément de pièges de toute sorte. Il faut ensuite rétablir les services minimums (eau, gaz, électricité). Ensuite il va falloir réparer, démolir et reconstruire les habitations. Et aussi réhabiliter les symboles religieux. Cela peut paraître secondaire mais pour les chrétiens, c’est fondamental. Replanter une croix dans un village signifie pour les chrétiens qu’ils sont chez eux. D’ailleurs SOS Chrétiens d’Orient a pour projet de monter un centre de formation professionnel dans le but de former des maçons, des électriciens, des ouvriers, bref tous ceux qui pourront contribuer efficacement à la reconstruction.
La prochaine étape est donc Mossoul ?
C’est ce qui conditionne aussi le retour des populations. Pour vous donner une idée, Qaraqosh est à portée de roquette de Mossoul et la prise de cette dernière prendra un temps considérable. Les autorités ecclésiastiques sont formelles : aucun retour n’est envisageable tant qu’il restera un jihadiste à Mossoul. Et cela n’est pas à envisager dans un futur proche, on voit très bien les limites de l’opération militaire. Ils avancent presque trop vite et la stratégie de harcèlement et de guérilla que Daesh a mise en place laisse présager un siège long et difficile.
Une dernière question, qu’allez-vous faire à Batnya ?
Le village a été libéré récemment et le prêtre nous a invités à assister au premier son de cloche.