Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Mgr Marayati : « À Alep, il y a plus de monde

dans les églises qu'avant la guerre ! »

Armenews

Interview de Mgr Marayati, archevêque arménien catholique d’Alep

ARMENEWS WEB TV

Alors que les tensions militaires sont encore palpables dans la région d’Alep, Mgr Boutros Marayati, archevêque arménien catholique, raconte comment sa ville renaît peu à peu.  Après la réouverture de l’école diocésaine Al Imane, bombardée en 2013, le travail d’accompagnement des enfants, traumatisés par six années de conflit, se poursuit. Le prélat confie par ailleurs son inquiétude devant le départ d’un grand nombre de jeunes hommes voulant fuir le service militaire obligatoire. Un véritable problème social puisqu’il y a désormais deux fois plus de jeunes filles que de jeunes hommes.

SYRIE
Type d'intervention

L’école diocésaine Al Imane a été reconstruite très rapidement après la fin de la bataille d’Alep, en décembre 2016. Etait-ce pour vous un chantier prioritaire ?

Absolument. Cette école a été très durement touchée en 2013 par des roquettes et des missiles. Tout comme notre cathédrale qui se trouve à côté. Quand la guerre a commencé, nous avons déménagé l’école dans un autre lieu, une salle souterraine d’une autre église qui se trouvait dans un quartier plus sûr. Une fois le conflit terminé, nous avons préféré reconstruire l’école avant la cathédrale. Pourquoi ? Parce que la cathédrale pouvait attendre tandis que les enfants ne le pouvaient pas ! C’est notre apostolat éducatif qui a primé. Nous avons donc fait le choix de rénover les bâtiments à l’identique, c’est-à-dire, dans le pur style aleppin des XVIIe et XVIIIe siècles. C’était aussi une de nos volontés que de préserver notre patrimoine architectural. Cela a été possible grâce à l’aide de plusieurs associations éducatives et caritatives dont SOS chrétiens d’Orient.

 

Y-a-t-il toujours autant d’élèves qui étudient à Al Imane ?

Malheureusement non. Beaucoup de familles sont parties. Avant la guerre, il y avait 1000 élèves, de la maternelle jusqu’au baccalauréat. L’école ne compte plus que 450 élèves aujourd’hui.

 

Dans quel état sont ces jeunes qui ont grandi pendant le conflit ?

Les enfants qui sont nés pendant la guerre viennent à l’école un peu traumatisés. Vous savez, ces enfants n’ont pas connu l’électricité. Pendant six ans, on s’éclairait avec des petites lampes à piles, des bougies ou des cierges. Ils n’ont pas connu l’eau courante. Les robinets ne fonctionnaient pas et il fallait se ravitailler avec des bidons. Ils ont vécu dans la peur. Parfois on remarque que certains sont effrayés par un bruit, que d’autres balbutient et s’expriment moins bien, d’autres encore se montrent agressifs. La peur et le choc de la guerre laissent toujours des traces dans les comportements. Nous faisons donc appel à des jeunes filles qui ont étudié la psychologie pour qu’elles aident ces enfants à reprendre doucement une vie normale. Chaque mois, il y a une conférence pédagogique qui permet de donner aux parents des éléments pour comprendre la situation de leurs enfants. Sport, dessin, musique, danse, visites et sorties… nous multiplions les activités pour que les enfants fassent sortir ce qui est bloqué en eux et retrouvent un peu de paix intérieure.

 

Notez-vous parfois un esprit de colère ou de vengeance dans l’attitude des chrétiens de votre diocèse? 

Non. Et d’ailleurs, je sens un esprit plus religieux. Il y a un retour vers la foi. Les églises sont plus pleines qu’auparavant. Il y aurait pu y avoir une rébellion contre Dieu. C’est le contraire qui se passe. On a la certitude que c’est Dieu qui sauve.

 

Des familles chrétiennes parties durant la guerre reviennent-elles à Alep ?

Dans ma communauté, cinquante-deux familles sont rentrées après le cessez-le-feu. Il s’agit de familles qui n’étaient pas parties très loin (littoral syrien, Arménie, Liban). Par contre, on sait aujourd’hui que celles qui se sont réfugiées en Europe ou au Canada ne reviendront jamais.

 

Et des familles cherchent-elles encore à quitter la ville ?

Oui, à cause du service militaire obligatoire après 18 ans. Le problème est que, une fois entré dans l’armée, on ne sait pas combien de temps un jeune homme va y rester. Il y en a qui sont en service depuis sept ans et ne peuvent pas arrêter parce qu’il y a la guerre. Beaucoup de jeunes ont peur de ce service. C’est pourquoi ils essayent de quitter la ville. Certains partent seuls, d’autres avec leur famille. Il faudrait en fait que la période du service militaire soit bien définie dans le temps. Deux ans c’est acceptable. Mais l’éternité n’est pas acceptable… Par ailleurs, ces départs des jeunes hommes posent de vrais problèmes sociaux.

 

C’est-à-dire ?

Les jeunes filles sont deux fois plus nombreuses que les jeunes hommes! Il n’y a plus assez de garçons ! On le voit très clairement, il y a moins de mariages et puis apparaît désormais la problématique des mariages mixtes, une chrétienne avec un musulman. Cela n’existait pas avant la guerre. Nous espérons que la guerre enfin se termine car cette difficulté nous inquiète. Nous vous demandons de toujours prier pour nous.   

Votre responsable de pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe