LES RÉFUGIÉS DE L’ARTSAKH, UNE HISTOIRE QUI SE RÉPÈTE

L'Homme Nouveau

Le conflit qui oppose l’Azerbaïdjan à l’Arménie depuis 2021 ne connaît pas de répit. En décembre 2022, les Azéris ont mis en place un blocus contre l’Artsakh, ils ont ensuite dirigé une opération militaire majeure le 19 septembre dernier, contraignant les Arméniens à l’exode. Entretien avec Alexandre Goodarzy, chef de mission pour SOS Chrétiens d’Orient en Arménie.

Où en est l’Arménie aujourd’hui ?

La situation n’a pas beaucoup évolué depuis septembre dernier. Les 120 000 réfugiés de l’Artsakh ont trouvé refuge en urgence dans différents lieux du pays, puisque le gouvernement a fourni des logements appropriés, inhabités mais souvent délabrés. L’État arménien s’est chargé de les répartir sur tout le territoire. Ils sont arrivés en continu pendant une semaine dans la ville de Goris, première ville arménienne après le corridor de Latchine.

De l’aide leur a été fournie sur le plan alimentaire, hygiénique et médical. Avec SOS Chrétiens d’Orient, nous avons pu apporter notre soutien sur le plan alimentaire, vestimentaire et hygiénique à hauteur de 60.000 euros de dons pour plusieurs dizaines de milliers de civils. 

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Avaient-ils anticipé une telle situation ? 

Il y avait déjà un blocus depuis le 12 décembre 2022, asphyxiant la région de l’Artsakh, donc une grande quantité d’aide humanitaire s’était accumulée permettant de réagir rapidement après l’attaque du 19 septembre dernier. 

Mais actuellement, il n’y a pas de lieu de regroupement massif. Les civils évacués sont aujourd’hui répartis sur l’ensemble du pays. L’aide est donc apportée au cas par cas, en visitant chaque famille dans le besoin.

Dans quel état d’esprit sont les réfugiés ? 

Ils sont désemparés. Ceux qui avaient les moyens sont arrivés en voiture, emportant ce qu’ils pouvaient et les autres ont pris des bus collectifs les répartissant ensuite sur tout le territoire arménien. Ce sont des gens sortis du lit, décoiffés, parfois même encore en pyjama, arrivant seulement avec ce qu’ils ont sur le dos, fatigués, affaiblis et apeurés par les Azéris.

Il y aussi le chagrin de voir une situation similaire à celle de leurs ancêtres se répéter, souffrir de la main des mêmes bourreaux, ou du moins de leurs descendants (*pour les Arméniens il n’y a pas vraiment de différence entre Turcs de Turquie et Turcs d’Azerbaïdjan, leur haine des Arméniens est la même et leurs procédés pour les éradiquer est identique). Une histoire qui se répète, et provoque un sentiment de fatalité, de tristesse et de colère dans leurs cœurs, toujours pour la même raison : la haine des Arméniens. 

Avec l’espoir de revenir un jour ?

Oui, mais ils sont nombreux aussi à s’être fait une raison. Le gouvernement arménien avait officiellement décrété qu’il ne se battrait par pour le territoire perdu, l’Artsakh. Le lendemain de cette déclaration les Azéris attaquaient, ce qui signifie bien pour les habitants de cette région que le combat est terminé et qu’ils ne rentreront donc pas chez eux. 

Mais pour ceux qui se sont battus en 2020, pendant la « Guerre de 44 jours », la capitulation est difficile à accepter. De nombreux jeunes sont morts à l’époque, ayant subi des atrocités. Certains Arméniens sont aujourd’hui soulagés, et espèrent pouvoir oublier la guerre mais d’autres au contraire ont ce sentiment d’injustice, estimant que cela réduit à néant les sacrifices des combats précédents. Les sentiments sont donc mêlés et contradictoires. 

L’Arménie risque-t-elle de subir de nouvelles attaques de l’Azerbaïdjan ? 

En 2021 et 2022, les Azéris ont annexé par la force des territoires arméniens tout le long de la frontière arméno-azérie allant des territoires de Vardenis, à côté du lac Sevan, à ceux de Goris en passant par ceux de Jermuk. Des exactions y avaient été également menées contre des civils et des soldats qui tenaient la ligne.

Des régions arméniennes frontalières de l’Azerbaïdjan et du Nakhichevan sont poussées à la désertification à cause de la terreur semée par les postes militaires azéris flanqués au sommet des montagnes depuis lesquelles ils exercent une pression quotidienne sur les habitants arméniens situés en contrebas. Insultes, menaces, tirs à l’arme automatique sur les maisons et les usines, les habitants et les investisseurs fuient les régions les laissant ainsi à l’abandon.

C’est ce qui s’est passé notamment à Yeraskh où des travailleurs indiens travaillant pour une compagnie de métallurgie arméno-américaine ont essuyé des tirs provenant des positions azéries situées à quelques dizaines de mètres sur les hauteurs. Les ouvriers avaient eu beau hisser le drapeau américain pour informer les Azéris de l’identité de leur cible mais rien n’y a fait, les ouvriers furent blessés par balle, ce qui a poussé la compagnie à plier bagages et à faire annuler un investissement de 70 millions de dollars.

Quelles sont vos missions dans le pays en temps normal et depuis septembre ? 

De manière générale, nous essayons de nous investir dans la construction et la restauration de maisons. Nous procédons à des donations diverses dans les domaines du médical (sans délivrer de soins), de l’alimentaire et du vestimentaire. Nous appuyons également l’aspect culturel, l’éducation au niveau scolaire, avec des activités que nous développons à Goris ou autour de Erevan.  Nous sommes également très actifs dans le développement économique et agricole dans la région du Syunik.

En septembre, nous étions davantage dans une situation d’urgence, passée aujourd’hui mais qui reste latente. Le discours d’Ilham Aliyev, président de l’Azerbaïdjan, reste ambivalent, reconnaissant la souveraineté de l’Arménie mais exerçant tout de même une pression sur le pays. Il accuse les Arméniens de ne pas respecter le traité de paix de 2020, et ses conditions. Il pratique l’inversion accusatoire alors que l’Arménie ne fait qu’accuser les coups car elle n’a pas les moyens de répondre à un pays qui a notamment pour allié la Turquie.

Les Arméniens ont-ils le sentiment d’avoir été abandonnés ?

L’aide humanitaire a été présente, plus d’une centaine d’organisations humanitaires a aidé les civils en septembre dernier, mais nous sommes maintenant dans le processus d’après. Ce dont la population a besoin c’est un discours de prévention pour éviter à nouveau une catastrophe. Il faudrait que les remontées soient suffisamment alarmantes pour que la situation ne se reproduise plus, ce qui pourrait arriver. C’est bien d’aider quand le mal est fait mais peut-être pouvons nous agir avant qu’il ne soit commis !

Oui, ils ont ce sentiment d’abandon mais d’abord par leur gouvernement qui a « lâché » le territoire de l’Artsakh. À partir de ce moment-là, les délégations internationales ne viendront plus contester l’occupation si les autorités arméniennes ont elles-mêmes renoncé. 

Votre responsable de pôle

Pauline Visomblain

Responsable des relations presse