Asia Bibi a été condamnée en 2010 à la peine capitale pour «blasphème» après une simple dispute. La Cour suprême s’est réunie lundi, mais a différé son jugement. Au Pakistan, les accusations de blasphèmes, portées par un islam rigoriste, frappent particulièrement les minorités chrétiennes.
L’attente dans le couloir de la mort se prolonge pour Asia Bibi. La Cour suprême du Pakistan s’est penchée lundi sur un recours déposé par cette chrétienne née en 1971 et condamnée pour blasphème, mais a différé son jugement.
« Nous réservons le jugement pour le moment », a déclaré le juge Saqib Nisar à l’issue d’une audience de près de trois heures dans la capitale Islamabad. On ignore dans l’immédiat quand il pourrait être rendu. Les juges de la Cour suprême ont semblé s’interroger sur la véracité de l’accusation. « Je ne vois aucune remarque désobligeante envers le Coran dans le rapport d’enquête », a observé le juge Nisar, tandis qu’un second juge, Asif Saeed Khan Khosa, relevait plusieurs points de non-respect des procédures.
Asia Bibi, mère de cinq enfants, avait été condamnée en 2010 à la peine capitale suite à une dispute avec une musulmane au sujet d’un verre d’eau, suscitant l’indignation à l’étranger. Le mari d’Asia Bibi, Ashiq Masih, continue de croire que sa femme reste « forte ». « Elle est psychologiquement, physiquement et spirituellement forte. En ayant une foi très forte, elle est prête à mourir pour le Christ. Elle ne se convertira jamais à l’islam », a-t-il récemment déclaré à l’Association britannique des chrétiens pakistanais (BPCA).
Son exécution serait une première au Pakistan, où une quarantaine de personnes se trouveraient dans les couloirs de la mort ou serviraient une peine de prison à perpétuité pour blasphème, selon un rapport paru cette année de la Commission américaine sur la liberté de religion dans le monde. Si la Cour suprême devait valider la sentence, Asia Bibi, qui a toujours nié les accusations, pourrait en dernier recours solliciter la grâce du président pakistanais, Arif Alvi. Celui-ci est un allié du nouveau premier ministre Imran Khan qui, vu comme plutôt libéral au début de sa carrière politique, a évolué vers une ligne plus conservatrice, déclarant notamment, durant la dernière campagne électorale, soutenir inconditionnellement la loi. « Le gouvernement n’est pas forcément hostile aux minorités, mais des groupes islamistes exercent sur lui de fortes pressions », explique au Figaro Béatrice Challan, membre de SOS Chrétiens d’Orient, citant notamment le cas d’Afzal Qadri, religieux musulman pakistanais, qui a lancé des menaces de mort contre tous ceux qui essaieraient de sauver Asia Bibi.
Chrétiens persécutés au Pakistan
« Les juges se sentent menacés », ajoute la chargée de communication de l’ONG, qui lance une pétition « pour sauver Asia Bibi ». « Le jugement n’ayant pas été rendu public nous espérons qu’en cas de condamnation à mort, une mobilisation en Occident pourrait influer sur la situation », précise-t-elle. En 2016, une précédente audition de l’affaire Bibi devant l’instance judiciaire la plus élevée au Pakistan avait été annulée à la suite du désistement au dernier moment de l’un des trois magistrats appelés à se prononcer. « Celui-ci s’opposait en réalité à la condamnation d’Asia Bibi, c’est pour cette raison qu’il a démissionné », ajoute Béatrice Challan.
Au Pakistan, l’histoire de cette chrétienne d’origine modeste divise fortement l’opinion. Les tenants de la ligne dure exigent régulièrement son exécution. Nombre d’entre eux l’ont encore exigée lundi sur Twitter et les autres réseaux sociaux. Deux responsables politiques soutenant la jeune femme ont été assassinés ces dernières années. Le ministre des minorités religieuses, Shahbaz Bhatti, a été assassiné en mars 2011 après avoir tenté de défendre Asia Bibi et critiqué la «loi blasphème». Toujours en 2011, un ancien gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, qui avait pris la défense de la jeune condamnée à mort, a lui été abattu en plein cœur d’Islamabad par son garde du corps. L’assassin, Mumtaz Qadri, a été pendu début 2016. La décision, saluée par les libéraux, a poussé les conservateurs à manifester en exigeant qu’Asia Bibi soit à son tour exécutée.
Le cas d’Asia Bibi avait eu un retentissement international, attirant l’attention des papes Benoît XVI et François. En 2015, l’une des filles d’Asia Bibi avait rencontré le pape François. Elle a également reçu le soutien du maire de Paris Anne Hidalgo, qui a réclamé sa grâce et l’avait élevée en 2015 au rang de citoyenne d’honneur de sa ville. Les défenseurs des droits de l’Homme voient en Asia Bibi un emblème des dérives de la loi réprimant le blasphème au Pakistan, souvent instrumentalisée, selon ses détracteurs, pour régler des conflits personnels.
Le blasphème est un sujet extrêmement sensible dans ce pays conservateur où l’islam est religion d’État. La loi prévoit jusqu’à la peine de mort pour les personnes reconnues coupables d’offense à l’islam. En 2010, le parlement européen a estimé que cette loi était utilisée pour justifier la censure, la persécution, et même le meurtre de membres des minorités religieuses. Des appels à changer la législation ont souvent donné lieu à des violences et ont été rejetés. De simples allégations se terminent régulièrement par des lynchages aux mains de la foule ou d’extrémistes. Les chrétiens, minorité persécutée, sont fréquemment visés.
Les personnes accusées de blasphème sont souvent emprisonnées sans preuve et pour une durée indéterminée, la justice rechignant à se saisir de leurs cas car plusieurs juges ou des avocats qui les avaient défendues ont été attaqués par des extrémistes ces dernières années. Alors que les Chrétiens, souvent pauvres, représentent de 2 à 3% des quelque 207 millions d’habitants de la République islamique du Pakistan, ils représentent en revanche 15% des condamnations pour blasphème, rappelle sur son site la BPCA. « Les chrétiens se cachent au Pakistan », conclut Béatrice Challan, de SOS Chrétiens d’Orient.
Un article de Alexis Feertchak