Guerrier de la paix :

récit de 5 années syriennes

auprès des chrétiens

L'Etudiant libre

Pendant 5 ans, Alexandre Goodarzy a été chef de mission en Syrie pour l’ONG SOS Chrétiens d’Orient. En 2019, il est pris en otage avec 3 salariés de l’association en Irak, à Bagdad. 66 jours de détention pendant lesquels seuls ses souvenirs et sa prière lui ont permis de tenir. Avec Guerrier de la paix, il revient sur cette expérience, et sur ses souvenirs dans un pays déchiré par la guerre civile mais toujours plein d’espérance.

L’Etudiant Libre : Votre livre Guerrier de la Paix est sorti en librairie le 24 mars. Vous revenez sur votre expérience pendant 5 ans au cœur de la Syrie meurtrie par la guerre civile, mais aussi sur vos deux mois passés en captivité après avoir été pris en otage avec 3 de vos collègues en 2019 à Bagdad… Pourquoi écrire ?

Irak
Type d'intervention

Alexandre Goodarzy : J’avais besoin d’archiver tout ce que j’avais vécu durant toutes ces années. Mon but était d’exposer une situation assez méconnue du grand public, mal relatée. On parle toujours de la Syrie comme d’un pays déchiré entre Bachar Al-Assad et ses opposants. Mais il y a au milieu ces chrétiens, qui sont en voix d’extinction, et il est nécessaire de leur donner une voix. C’était un devoir de parler de tout ça.

EL : En effet, vous expliquez à plusieurs reprises dans votre livre que les médias en France ne rendent pas du tout compte de la situation syrienne telle qu’elle est vraiment.

AG : En fait, le problème syrien est relaté de manière assez simpliste. Tout est toujours tout noir ou tout blanc, sans laisser de place à la nuance ! Et quand on voit les conséquences sur place, on se rend compte que simplifier autant une telle situation est très problématique… Pendant trop longtemps par exemple on a qualifié les opposants à Bachar Al Assad de « rebelles modérés ». On ne veut pas admettre que les premiers rebelles, ceux qui étaient politiques, se sont faits avaler par Al-Nostra rapidement. Il y a une part de fantasme, on projette nos aspirations sur la réalité. Et la réalité c’est la même que celle qui a fait couler le sang à Paris. Donc on ne peut pas pleurer et allumer des bougies en France et les excuser quand il s’agit de la Syrie.

EL : Pourquoi prendre comme point de départ de votre livre le récit de votre enlèvement ?

AG : Car cela a été le dernier instant vécu sur place : mon histoire au Moyen-Orient se termine par cet enlèvement. Le lecteur est enlevé avec moi, il me suit dans cette descente aux enfers… et ensuite l’histoire suit mes souvenirs, comme pendant notre détention. Je n’avais aucune maitrise du présent, aucune vue sur l’avenir, donc je me réfugiais dans le passé, pour survivre. Car chaque jour, nous pensions que ce serait le dernier, ou le premier d’une liste interminables de jours enfermés. Le passé c’est alors la seule chose à laquelle on peut se raccrocher.

EL : Vous relatez vos 5 ans en Syrie. Vous y arrivez en 2015 ; qu’est ce que vous y trouvez ?

AG : Un pays fort différent de ce qu’il était avant la guerre. Mais aussi un pays qui contraste avec la « réalité » exprimée par les médias. En fait c’est une Syrie qui résiste face à Jabat Al-Nosra et Daech, qui se bat contre l’islamisme, pour ne pas mourir. C’est 70% de la population syrienne qui fuit et qui se retrouve sur 20 – 30% du territoire. Et cette population est venue se réfugier sous la coupe du gouvernement, contrairement à ce qu’on a bien voulu nous dire.

EL : Et cette découverte, c’est le point de départ de votre engagement chez SOS ?

AG : Lorsque j’ai appris qu’un groupe de jeunes étaient partis en Syrie, je me suis dit : « Il y a des gars qui pensent encore à fêter Noël, alors qu’en France ce n’est plus qu’une fête commerciale, ils sont jeunes, et ils pensent à le fêter avec des gens a qui ont a tout ôté ». Ca nous remet énormément en question. Puisque la bas, ils ne peuvent pas fêter Noël , et nous qui avons le choix, nous ne nous rendons pas compte de notre chance. C’est une vraie leçon. Donc j’ai eu envie de les rejoindre, d’aller connaître nos frères chrétiens.

EL : D’ailleurs dans votre livre vous parlez de la France, comme de ce « grand hospice où les étrangers viennent ramasser nos déchets » , cette France déchristianisée… Vous critiquez aussi l’Education Nationale…

AG : Oui, aujourd’hui il n’y a plus rien de transcendant en France… L’histoire de France, qui nous fait prendre de la hauteur, qui nous donne envie de nous élever, n’est pas communiquée par l’Education Nationale ! Et je pense que c’est la raison pour laquelle les musulmans qui vivent chez nous ne se reconnaissent pas dans ce qu’on leur propose. Ces mecs-là, ce n’est pas la République qui va les faire vibrer. Donc ils vont chercher à vivre l’histoire. Pourquoi ? Parce que tout homme a besoin d’absolu, a besoin de vivre quelque chose de grand… C’est comme une soif de l’âme – et je ne parle pas d’adrénaline -, non quelque chose qui nous élève. Et au vu de la déchéance culturelle en France, je ne suis pas étonné qu’ils embrassent une épopée islamique. Du côté chrétien, il faut donc faire barrage. Et SOS répond à ce dé donné à la jeunesse, à tous ces français qui ont besoin de retrouver quelque chose de grand quand l’Etat et ses institutions ont démissionné complètement sur la question. Il y a des pays, dans lesquels on entre et l’on « devient » ce pays, on ne fait qu’un avec la population, on veut lui ressembler. Ce n’est pas à nous de devenir ceux que l’ont reçoit. Mais combien de français aujourd’hui se convertissent à l’islam ? Il y en a tous les jours. Car cette culture est forcément plus forte par rapport au vide qu’on leur propose. Donc c’est le français, lâché par les politiques, par l’éducation nationale, qui est assimilé par ces nouveaux arrivants.

EL : Revenons à l’enlèvement.. Deux mois en détention : qu’est ce qui vous a fait tenir ?

AG : Il fallait résister à l’angoisse quotidienne, et ce qui m’a permis de tenir, c’est la prière. Je Lui ai tout confié, et j’ai profondément que Lui, Lui seul, pouvait faire quelque chose. On a cru fermement à ça, on en parlait souvent. Cela nous a aidé à savoir pourquoi on priait. J’ai compris que, pour moi, le Seigneur voulait me libérer d’une autre forme de captivité. Dieu m’appelait à une autre libération. Et le Seigneur vous exauce finalement souvent pour quelque chose que vous voulez tellement que vous êtes prêts à y renoncer, par conversion sincère, par amour pur.

EL : Cela fait 10 ans que la guerre civile syrienne a commencé, qu’est ce que vous entrevoyez pour le futur de ce pays ?

AG : Je suis assez sceptique, mais j’ai foi en le peuple syrien. Cependant les ingérences étrangères ne leur laissent pas la guerre. Par exemple l’embargo américain (la loi César ndlr) qui sévit depuis un an maintenant est une arme de guerre, plus qu’une conséquence de la guerre comme on a voulu nous le faire croire. Cette loi fait beaucoup souffrir et va refaire germer cette pauvreté économique et sociale qui est le terreau de recrutement de Daech. Et la reformation de Daech sera un nouveau prétexte pour les Etats Unis pour garder la main mise sur le pays. C’est un cercle vicieux. Et dans toute cette confusion, ce sont les élites qui fuient. Il ne reste plus que la rue arabe, qui elle, est profondément musulmane. Avant, on pouvait parler de ce nationalisme arabe, qui était le barrage face à l’islamisme. Aujourd’hui il n’en reste rien. Les élites qui mettaient l’accent sur le nationalisme, sont parties. Et ceux qui restent sont dans une logique de clans, très islamique. Et c’est là qu’est le problème. Le baasisme n’est pas tout rose, mais tout le travail nationaliste est fichu en l’air et n’est pas prêt d’être reconstitué. Et les chrétiens en sont les premières victimes. Eux qui étaient 2 millions avant la guerre, sont 700 000 aujourd’hui. Les deux tiers sont partis. C’est un peuple en voie d’extinction, et cette hémorragie, ce drame civilisationnel ne sera pas sans nous impacter nous en Europe et en France.

Marie-Elisabeth Desmaisons

Votre responsable de pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe