Entre Mossoul et Amman :

l’exil des chrétiens d’Orient

Le Verbe

Lorsque je voyage, j’aime me frotter à différentes communautés chrétiennes pour apprendre leur tradition et connaître la réalité concrète de ces frères et sœurs. Je chérissais l’idée d’aller à la rencontre des chrétiens d’Orient depuis un moment. Je voulais rencontrer les gens et voir les visages derrière les statistiques présentées dans les médias.

Lors d’un récent périple, j’ai eu la chance d’être accueilli dans plusieurs missions de l’organisme SOS Chrétiens d’Orient en Jordanie ainsi qu’en Irak. Des rencontres marquantes m’ont permis de comprendre ce qu’ils ont vécu ces dernières années, d’écouter leurs rêves, de prier à leur côté et, par le fait même, de tisser des amitiés.

Irak
Type d'intervention

L’Irak, pays d’Abraham, est un berceau de l’Église primitive. On y comptait plus de six-millions de chrétiens au début du siècle. Aujourd’hui, l’Irak compte seulement 200 000 chrétiens. Chaque guerre qui frappe la région entraîne une vague supplémentaire d’expatriation chez les chrétiens.

Mes premières rencontres ont lieu à Amman, en Jordanie, là où je rencontre un grand nombre de réfugiés irakiens ayant fui à la recherche de sécurité. Ils sont en transition. Si un avenir leur est promis dans un pays du Nord, certains parmi eux patientent depuis plusieurs années. Leur statut de réfugié ne leur permet pas de travailler, ce qui complique la situation de beaucoup de familles ; ils vivent dans des logements précaires, parfois insalubres. La plupart ont quitté leur foyer à la hâte, dans la nuit du 6 août 2014, lorsque Daech a envahi la plaine de Ninive.

Les ruines de Bartella

Cet homme et sa famille viennent de Bartella, près de Mossoul ; ils viennent d’arriver à Amman depuis moins d’un mois. Son fils est peintre en bâtiment et lui était chauffeur de camion à Mossoul. 

En 2005, alors qu’il transportait des biens périssables entre Moussoul et Bagdad, un escadron de Daech l’a suivi et a essayé de l’arrêter. Il savait pertinemment que, s’il s’arrêtait, il serait tué sur-le-champ à cause de sa foi en Jésus Christ. Les djihadistes l’ont poursuivi et ont commencé à tirer sur la porte du camion ; il a reçu une balle dans la jambe. Sachant qu’il y avait un point de contrôle policier douze kilomètres plus loin, il a continué son chemin malgré la douleur. Lorsqu’il est arrivé au checkpoint, ses assaillants ont pris la fuite et les policiers l’ont immédiatement conduit à l’hôpital.

Comme de nombreux chrétiens, ils ont dû fuir la plaine de Ninive en 2014.

Ils sont allés à Dahûk et sont demeurés dans une église pendant trois mois. Puis, ils se sont rendus dans un camp de réfugiés. Après la libération de Bartella, on a appris à cet homme que sa maison était complètement détruite.

Toute la famille s’est donc déplacée vers Bagdad – où il n’y avait rien pour eux, aucun secours. Ils ont ainsi poursuivi leur route jusqu’en Jordanie. Les conditions dans les camps sont très difficiles . Ils ferment toujours le chauffage pour limiter la consommation de gaz, et l’eau chaude est disponible seulement une fois tous les sept jours pour que tous puissent se doucher. Nous terminons la rencontre par une prière.

Une autre famille rencontrée dans les camps a vu, sur une chaine de télévision locale, que leur maison avait été détruite par Daech. Ceux-ci ont ensuite habité durant deux ans dans des roulottes, dans des conditions lamentables: six ampères leur sont attribués – à peine suffisant pour tenir une ampoule allumée –, pas d’eau chaude, des toits qui coulent, des matelas qui prennent l’eau.

Je leur demande si, malgré l’attente d’être acceptés par les services d’immigration d’un pays du Nord, ils ont perdu espoir. Ils me répondent: «Inch’Allah» – à la grâce de Dieu !

Un membre de leur famille, à cause de difficultés de mobilité, a dû rester en Irak, ne pouvant effectuer la longue marche de huit heures lors de la fuite nocturne du 6 août 2014.

Quand les hommes de Daech sont arrivés, ils l’ont bien nourri les premiers jours, avant d’exiger sa conversion à l’islam. Lorsqu’il a refusé, ils lui ont coupé les vivres et il est mort de faim dans le jardin derrière la maison familiale, là même où on l’a enterré.

La paix d’Hanna

Une grande partie de la mission de SOS-Chrétiens d’Orient en Jordanie est de venir en aide aux familles réfugiées. Malgré les nombreuses demandes d’aide formulées, les membres de l’organisme prennent bien le temps de rencontrer chaque personne à son domicile, très souvent, de partager avec eux le café irakien ou le chai (thé irakien). Ces rencontres se terminent par une petite prière, tournés vers les nombreux objets religieux qui ornent ces appartements vides.

Hanna et son mari, mécanicien, ont deux enfants, maintenant jeunes adultes. Ils sont syriens catholiques. La femme de Bagdad garde précieusement une icône de sainte Rita, patronne des causes désespérées. Quand elle l’invoque, elle se sent capable de lâcher prise et de retrouver la paix.

Son mari a quatre frères morts à la guerre de 1980 à 1988, un autre est disparu depuis 25 ans, un autre encore a été prisonnier de guerre durant douze ans, torturé tous les jours

Leur fils de 22 ans n’est pas très scolarisé: l’école qu’il fréquentait a explosé à quelques reprises. Hanna, ayant trop peur pour son fils, l’en a donc retiré.

«Là-bas, quand vous êtes chrétiens, me confie-t-elle, vous êtes toujours persécutés. Vous êtes des citoyens de deuxième degré, c’est constamment dangereux pour votre vie.» Elle me raconte aussi que, dans l’église de leur quartier, en Irak, il y a eu une fusillade en 2010 et les assaillants y ont abattu un bébé seulement parce qu’il pleurait.

Hanna me rapporte que, alors que son cousin se promenait dans la rue, un homme à bord d’une voiture l’a interpelé et lui a demandé sa carte d’identité. Voyant, sur sa carte, qu’il était chrétien, on l’a tué sur-le-champ. Les membres de la famille avaient peur de récupérer le corps, craignant d’être abattus à leur tour s’ils le touchaient ou le couvraient.

Le frère d’Hanna, qui a cinq filles, habitait le quartier de Dora à Bagdad. Des hommes de Daech sont entrés chez lui et ont exigé qu’ils quittent les lieux deux heures plus tard, en laissant tout dans la maison, sinon ils prendraient les filles comme esclaves sexuelles avant de se débarrasser du reste de la famille. Pour Hanna, ça s’est passé de manière comparable : des gens sont venus chez elle et l’ont menacée ; elle a dû s’enfuir avec pour unique bagage les vêtements qu’elle portait ce jour-là.

« L’Irak n’est plus un pays où les chrétiens peuvent vivre, on s’y sent comme des étrangers, constamment humiliés », me répond-elle lorsque je lui demande si son pays lui manque.

Certains Irakiens sont prêts à partir pour n’importe quel pays; ils ont vu et vécu des choses trop dures. « Souvent, lorsqu’il y avait des explosions près de notre maison, on retrouvait de la chair humaine sur le toit. Une bombe a explosée devant notre porte, au milieu de la nuit, et on a retrouvé la porte à l’autre extrémité du jardin. La façade de la maison était criblée de balles et d’impacts d’explosions.»

Devant tant de souffrances, on pourrait comprendre que vienne la tentation de renier leur foi pour acheter la paix. « Non! Impossible! Je crois vraiment que Dieu m’a permis de vivre cela pour que je puisse me rapprocher de lui. À travers tout cela, on devient très libres et détachés de toute chose. Si un jour on me prend ma voiture ou ma maison, cela ne change rien à qui je suis, Dieu est encore à mes côtés. Il me dit de ne pas me faire des trésors sur la terre, mais dans le ciel. Avant, j’avais deux maisons très bien meublées et deux magasins. J’ai tout quitté. Et maintenant, je n’ai que cet appartement de deux pièces où l’on vit à cinq, que je loue dans un pays étranger, où l’on vit au jour le jour. En Irak, on fait souvent la blague que ce qui appartient aux chrétiens, tout le monde peut le prendre sans que ce soit un vo l; on se fout de nous. Nous cherchons maintenant une nouvelle terre.»

Pour le petit Faris

Un couple et ses huit enfants nous accueillent pour le dîner.

Le 6 août 2014, ils sont partis eux aussi de Qaraqosh en sachant que Daech arrivait (à minuit et demi dans la nuit).

Le père de la famille se rappelle qu’il y avait beaucoup de monde sur la route. En direction d’Erbil, sa femme enceinte et ses enfants à bord, la voiture est tombée en panne à cause de la pompe à essence. Devant l’impossibilité de la réparer, l’homme me raconte qu’il s’est mis à prier et que la voiture s’est remise en marche.

Une fois arrivés à Ankawa, en banlieue d’Erbil, on leur donne une tente et ils dorment dans un jardin. Sans le sou, ils décident d’ouvrir un petit magasin de valises au bord de la route.

Ils sont présentement à Amman depuis environ un an. Le plus jeune, Faris, est né en exil, en 2015. L’accouchement a coûté quelques centaines de dollars – une somme faramineuse pour cette famille qui survit tant bien que mal depuis que le petit commerce de valises est parti en flammes.

Andrew, 15 ans, ne va plus à l’école. Il est vendeur de matelas et, parmi la fratrie, il est l’un des seuls à avoir trouvé un emploi – au noir – pour aider son père à subvenir aux besoins de la famille.

 

L’horreur

En traversant le camp, je fais la rencontre d’une autre famille de réfugiés. Le père est chauffeur de taxi et, en 2008, l’un de ses frères est dans l’armée irakienne (constamment talonnée par Daech). Alors que son frère vient le visiter, les hommes de Daech l’apprennent et frappent à sa porte. Lorsqu’il ouvre et les voit, il fait signe à son frère de s’enfuire par la porte arrière. Les agresseurs cassent la porte et menacent son vieux père en braquant un pistolet devant son visage. Un des hommes bouscule sa femme, qui tombe au sol. Elle a dans ses bras leur enfant de deux mois. La petite fille subit un traumatisme crânien auquel elle ne survivra pas.

Les combattants prennent ensuite le père, le battent violemment et l’emportent dans le coffre de la voiture. Il est torturé et battu à coups de barre de métal, et ses deux bras se disloquent. Les hommes de Daech décident de l’exécuter, mais attendent tout de même leur chef. Il passera trois jours dans une petite salle, sans manger ni boire. Les soldats de l’armée étatsunienne le retrouveront en vie. Après ces évènements et l’incendie de sa maison, la famille a choisi de partir de Bartella en août 2015, passant des camps de réfugiés à Erbil, avant d’aboutir à Amman, d’où ils attendent un visa pour atteindre les États-Unis.

Plus tard, Salam, notre traducteur, nous parle de ce qui est arrivé à sa sœur, à Mossoul. Alors qu’elle revenait de l’église en voiture avec son mari et leur petite fille, on les a interceptés. Quelques heures plus tard, on a retrouvé l’enfant qui pleurait dans la voiture, avec ses deux parents assassinés devant elle. On les a enterrés dans un cimetière catholique à Mossoul. Il y a moins d’un mois, on apprenait que ce cimetière avait été vandalisé par Daech : tous les corps ont été déterrés.

 

La foi ou la terre

Cette famille vit à trois générations dans un appartement minuscule. Ils ont trois enfants , et le grand-père à charge.

À l’arrivée de Daech, ils ont fui Mossoul pour Erbil, où ils trouvent refuge dans des caravanes, des portiques d’églises ou des halls d’écoles. Leur histoire, pourtant unique, est semblable à tant d’autres.

Avec les jours qui passent, la famille espère le retour prochain à Mossoul. Mais, dissuadés par leurs amis de rentrer dans leur ville et refusant toute idée de conversion forcée, ils font le choix de s’exiler en Jordanie.

Leur foi aura la priorité sur leurs terres.

Aujourd’hui, ils vivent encore dans la peur de cette histoire passée. Ils n’ont jamais pu s’installer décemment dans leur appartement, dormant sur quelques semblants de matelas, à même le sol. Ils n’ont pas de chauffage; le grand-père malade s’emmitoufle dans de vieilles couvertures.

Aucun des deux parents n’a évidemment le droit de travailler, ce qui complique l’accès aux soins, à l’éducation et aux biens de première nécessité comme la nourriture ou l’électricité.

La famille invite les chrétiens du monde à penser à eux et à prier pour eux afin qu’ils aient un avenir digne de ce nom. «Je ne vous oublierai jamais, dans ma tête et dans mon cœur », nous souffle le grand-père avant que nous prenions congé.

 

Smakieh, Jordanie

Nous nous déplaçons ensuite à Smakieh, le dernier village chrétien de Jordanie. Nous sommes reçus dans la paroisse latine du Père Ibrahim. On y trouve plusieurs célébrations eucharistiques le dimanche dans des églises combles, des messes dynamiques avec musiciens et un essaim de servants de messe.

Smakieh se situe à 120 kilomètres au sud d’Amman et a été érigé en plein milieu d’un désert aride. Dans ce bastion de la chrétienté, la situation n’est pas aisée pour les habitants. En effet, un fort taux de chômage incite les jeunes à quitter les lieux pour rejoindre Amman, ou même des pays étrangers.

Une antenne de SOS Chrétiens d’Orient, demandée depuis longtemps par les paroisses de Smakieh, a enfin vu le jour. Toutefois, d’autres communautés chrétiennes jordaniennes subissent les contrecoups de la situation complexe au Proche-Orient et attendent encore que SOS Chrétiens d’Orient leur apporte du soutien.

Plusieurs fois par semaine, des réfugiés syriens des villages avoisinants viennent à Smakieh pour un après-midi en classe préscolaire.

 

Le ferronnier de Teleskof

À 30 km de Mossoul, dans la plaine de Ninive, se trouve Teleskof. La ville, presque entièrement chrétienne, a été brièvement occupée par Daesh – soit 13 jours – et ensuite reprise par les soldats américains. Ici, plusieurs jeunes chrétiens ne sont pas prêts à quitter leur pays ; ils veulent y construire leur avenir. Je suis apaisé de découvrir des jeunes courageux qui espèrent contre toute espérance.

Emman, jeune ferronnier, me partage ce désir. Il aimerait que ses enfants grandissent dans le village de son enfance. Même s’il s’agit d’un futur incertain, il y croit. Pour Emman, après deux ans d’exil et d’errance au Liban, l’heure n’est plus aux cris et aux larmes, mais à l’espoir.

« Quand Daech était ici, ma situation n’était pas bonne du tout, je ne me sentais pas en sécurité et, en plus, je n’avais pas de travail. Je suis donc allé au Liban, dans l’espoir d’obtenir un visa étranger, avant de réaliser qu’en fait j’aimais mon pays, j’appartiens à ce pays. Je dois rentrer pour reconstruire mon pays. L’Irak est un pays qui appartient aussi aux chrétiens. Je viens d’une famille qui est chrétienne depuis plusieurs générations, mais pour moi, ce n’est pas seulement une tradition, c’est aussi une amitié qui se révèle dans la prière. C’est Jésus ! »

Article écrit par Raphaël Champlain

Votre responsable de pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe