Dans Alep, une vie à deux vitesses

Directeur général de l’ONG française SOS Chrétiens d’Orient, Benjamin Blanchard connaît bien la Syrie. Il a passé plusieurs jours la semaine dernière à Alep. Il témoigne à partir du Kurdistan irakien, où il est actuellement en voyage.

Benjamin Blanchard : L’entrée dans la ville est impressionnante, parce que l’on serpente dans un champ de ruines, entre deux remblais de terre. Le grand check-point qui servait d’accès a été entièrement détruit par les combats. Tout est parti en fumée. On passe l’usine de ciment, puis celle de traitement des eaux. L’endroit est marqué, dès le matin, par une file ininterrompue de camions parce qu’ici se trouve la zone de ravitaillement pour deux millions d’habitants. Plus on s’approche des lignes de front, à l’est de la métropole, plus on voit les destructions, tous ces immeubles éventrés par les « canons de l’enfer », les bonbonnes de gaz remplies de clous et les coups de mortiers. Mais, à l’ouest, il reste quelques poches résidentielles avec des bâtiments en bon état. Nombre d’Alépins sont partis, et ils ont été remplacés par des gens de la campagne qui ont fui leurs villages occupés par les djihadistes.

 

Comment vit-on à Alep ?

La ville est coupée en deux depuis 2012. À l’est, aux mains des rebelles, on ne peut pas pénétrer : la zone est encerclée. À l’ouest, tant que la route reste ouverte, le ravitaillement est possible. On trouve de tout, mais les prix ont explosé et, comme il n’y a plus de travail, les habitants ne peuvent plus acheter de denrées. La majorité d’entre eux, même les bourgeois, vivent de la charité, grâce à une petite société de bienfaisance qui s’est constituée autour des mosquées et des églises. L’électricité est coupée. Des particuliers malins ont installé des générateurs dans les rues et vendent, très cher, des ampères à l’unité. La pompe à eau aussi a été coupée. On peut s’approvisionner gratuitement dans les mosquées et les églises, ou, en payant, chez des particuliers qui ont un puits. Il n’y a pas de pénurie à proprement parler, mais beaucoup de choses rendent la vie très pénible.

 

Dans quel état d’esprit avez-vous trouvé les Alépins ?

À l’ouest, inquiets mais confiants, en tout cas moins désespérés qu’en août 2015. Les restaurants et cafés sont pleins jusqu’à dix ou onze heures le soir – même si les gens consomment peu, par manque d’argent. On sent plus de confiance dans l’avenir. Les habitants se déplacent davantage. L’intervention russe a donné de l’espoir : les Alépins se sentent soutenus par une grande puissance, ils préfèrent l’aide des Russes à celle des Iraniens qui veulent leur imposer un autre mode de vie. Maintenant, ils ne se font pas d’illusions : ils savent bien que les Russes n’ont pas une démarche altruiste, mais qu’ils poursuivent leurs propres intérêts.

 

Votre responsable de pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe