Retour de Syrie, épisode 1
La Syrie ne fait plus les gros titres de l’actualité. Qu’est-elle devenue ? Comment se relève-t-elle de ces années de guerre ? De quelle façon ses habitants vivent-ils les sanctions occidentales ? Le tourisme y est-il à nouveau possible ? Antoine de Lacoste, de retour de Syrie, raconte…
Aller visiter la Syrie aujourd’hui relève d’un acte militant incontestable. Les embûches sont nombreuses. Tout d’abord, par la grâce des sanctions occidentales, il faut atterrir à Beyrouth, puis prendre un car pour rouler plein est, passer la frontière et arriver à Damas.
Cela ne se fait pas individuellement mais en groupe par le biais d’une agence, Odeïa en l’occurrence. Pas de groupe, pas de visa. La Syrie n’a pas ni la guerre contre le terrorisme islamiste et toute entrée sur son territoire est soigneusement examinée. En arrivant dans la capitale syrienne, à l’animation incessante, à la circulation dense et fantaisiste digne de Beyrouth ou d’Amann, le voyageur ne semble pas entrer dans un pays en guerre. Damas n’a pas subi les grandes destructions d’Alep ou d’Homs, et la vie semble suivre son cours normal.
Mais, dès le premier jour, le même voyageur se rend compte d’un premier mal ravageur : l’effondrement de la monnaie et l’hyperinflation qui l’accompagne. Venu changer quelques centaines d’euros, il se retrouve lesté d’une cargaison pantagruélique de billets. Un euro vaut 4.000 livres syriennes (ou à peu près), soit cent fois plus qu’il y a quelques années. On pourrait presque se promener dans les souks avec une brouette, ce qui évoquerait l’Allemagne de Weimar dans ses grands moments. Cet effondrement monétaire ruine les Syriens et beaucoup sont totalement découragés.
Le voyageur doit inverser ses habitudes : dépenser vite pour se délester. Un jeu d’échecs joliment nacré (les Syriens sont spécialistes) fera l’affaire, à un prix très raisonnable. La transaction est facile, sous l’œil de deux portraits de Bachar et de Poutine, fièrement affichés. Pas de marchandage ni de harcèlement d’enfants qui vous tirent les manches en tout sens comme en Afrique du Nord. Nous sommes en Syrie, le visiteur est respecté et n’est pas un tiroir-caisse.
Il est d’autant plus respecté qu’il se fait rare, par les temps qui courent. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les mines étonnées, parfois stupéfaites, des passants et des commerçants. Des jeunes filles voilées sollicitent des selfies avec les trois dames (sur dix) de notre groupe. Elles éclatent de rire et s’en vont ravies. Des femmes non voilées, c’est ainsi que l’on reconnaît les chrétiennes, nous interpellent : « D’où venez-vous, de France ? » « Alors les touristes reviennent ? », demandent-elles pleines d’espoir. Elles ne réalisent pas que sera encore long car l’occident a décidé de punir la Syrie pour avoir vaincu des islamistes longtemps financés et armés par ce même occident.
Après un détour par les locaux de SOS Chrétiens d’Orient (notre accompagnateur est son directeur, Benjamin Blanchard), il faut aller visiter la grande moquée des Omeyades, réputée une des plus belles au monde. Et pour cause : elle fut construite par d’habiles byzantins qui ont conservé le plan d’un vieux forum romain et la façade de l’ancienne cathédrale chrétienne. L’intérieur est moins intéressant, même si la promesse de la tombe de saint Jean Baptiste pouvait être alléchante. Totalement islamisée, elle n’inspire guère le chrétien qui est, en outre, sceptique devant les maigres arguments attestant de la présence du saint en cet endroit.
Les hôtels de charme sont nombreux dans le pittoresque quartier chrétien de la ville, où les églises abondent. Nous sommes royalement traités, tout comme dans les quelques bons restaurants qui ont survécu à la crise. En revanche, le vin est uniquement libanais. Remettre les vignes syriennes en route prendra du temps. Il faut déjà quitter Damas et le voyageur se dit qu’en Syrie, comme au Liban, l’accueil du voyageur est resté une tradition.
Un article de Antoine de Lacoste