Cinquante mille jeux pour les enfants réfugiés

La Croix

À Montpellier, une petite entreprise a lancé une grande opération pour créer et acheminer des jeux de cartes à destination des jeunes réfugiés au Moyen-Orient.

L’entreprise est nichée dans l’une des rues les plus étroites de ­Montpellier. À l’intérieur, l’effervescence est quotidienne. Bardés de boîtes de jeux empilées et d’affiches colorées, les bureaux de Bioviva ont de faux airs de ludothèque. Ici, une vingtaine de jeux sont imaginés, conçus et testés chaque année, par une équipe de passionnés.

« Toutes nos créations intègrent une notion de développement durable. Nos jeux sont ludiques, enthousiastes et sont créés pour améliorer les relations aux autres, à soi-même et au monde vivant, sous toutes ses formes », explique le fondateur de Bioviva, Jean-Thierry Winstel. Une main sur son clavier, l’autre sur son téléphone, le chef d’entreprise parle des valeurs de sa société avec une grande conviction. « Notre état d’esprit repose sur une idée simple : vive la vie ! », clame-t-il.

LIBAN
Type d'intervention

Avec une énergie débordante, il raconte la genèse du projet qui occupe une grande partie de son attention et de celle de son équipe, depuis l’automne dernier : offrir un million de jeux pour les réfugiés. « La vie n’a pas de frontière. Notre mission est universelle. Face à l’actualité dramatique liée à la condition des personnes migrantes, nous nous sommes questionnés : que pouvons-nous faire ? Nous ne sommes pas une association humanitaire, ni d’urgence ou de sauvetage. Nous ne sommes pas non plus une multinationale avec de gros moyens. Mais nous avons des compétences. Nous savons créer des jeux », explique Élise ­Courtois-Brieux, chef de projet.

Évoluant dans ce domaine depuis plus de vingt ans, Jean-Thierry Winstel a agité l’intégralité de son carnet d’adresses pour mettre en place cette initiative : « L’enjeu est de mettre en lien de nombreux acteurs, entreprises et fondations, autour d’un projet solidaire et humanitaire. » Fièrement, il montre une lettre en provenance directe de l’ambassadeur de France près le Saint-Siège. « Il nous soutient », glisse-t-il.

 

Hébergé par la Face (Fondation Agir contre l’exclusion), le projet Bioviva for Life a démarré par une campagne de financement participatif sur la plateforme Hello Asso. Pour le moment, elle atteint la somme de 28 000 € et a permis la production de 50 000 jeux « ­Défis nature ». Vingt cartes représentent des images d’animaux de la mer ou d’Afrique, en deux versions : l’une pour les plus petits et l’autre avec texte pour les plus grands.

Parmi les partenaires à avoir adhé­ré au projet, l’imprimerie Graphot, située à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme), produit les jeux à prix coûtant. « Nous avons réédité et adapté le jeu », précise Élise ­Courtois-Brieux. Tous les salariés ont mis la main à la pâte. En plus de leurs fonctions habituelles au sein de l’entreprise, chacun a été chargé d’une mission. ­Ghaïs-Victor, habituellement commercial, gère les relations avec les ONG. Adrien, chef de projet, a repensé le jeu pour l’adapter. Toutes les cartes ont été traduites en langue arabe.

 

« Offrir la part d’insouciance qu’ils n’ont jamais eue »

La boîte est petite, en carton souple et tient dans une poche. Bien visible, en haut du petit paquet, une case blanche munie de pointillés permet à l’enfant d’écrire son prénom. « Dans la version que nous commercialisons, cette étiquette n’existe pas. Nous l’avons ajoutée. L’important, pour ces enfants, est qu’ils s’approprient le jeu. Dans leur situation, c’est souvent primordial qu’ils aient quelque chose bien à eux », justifie Jean-Thierry Winstel.

Sur chaque carte, des petites étoiles graduées indiquent le poids de l’animal et le nombre de bébés. Pour les plus grands, des caractéristiques sont plus détaillées. « Les cartes peuvent aussi servir à raconter une histoire, apprendre à dessiner, à compter », détaille Élise, impatiente d’avoir des retours de terrain et de connaître l’impact sur les enfants. « Notre envie est de faire rêver ces enfants, une fois que leur survie est assurée, de leur offrir la part d’insouciance qu’ils n’ont jamais eue ou qu’ils ont perdue, et de leur apporter un moment de cohésion, de créer du lien avec d’autres enfants et des adultes. Qu’ils sourient, qu’ils rient… », ajoute-t-elle.

 

Un relai complexe jusqu’à destination

Après la conception, la question de l’acheminement des jeux vers les enfants réfugiés ne se fait pas sans difficulté. « Tout est soumis à une série d’autorisations en chaîne », constate ­Ghaïs-Victor qui gère les relations avec les organisations non gouvernementales (ONG). Grâce à l’ONG turque Anne Meclisi, des palettes de jeux ont pu arriver en Turquie.

En parallèle, l’association SOS Chrétiens d’Orient se charge de l’acheminement de 19 000 boîtes, dont 7 600 jeux vers la Syrie, en passant par le Liban. Au-delà de la distribution, une attention particulière est portée au bon usage des cartes. « Le jeu éducatif n’est pas dans la culture de ces populations, explique François-­Xavier Gicquel, directeur des opérations chez SOS Chrétiens d’Orient. Ça ne servirait à rien de s’en tenir à une simple distribution. Nous organisons des séances, nous expliquons les règles, puis les enfants repartent avec leur jeu. » À la mi-avril, 2 600 boîtes ont enfin atteint la Jordanie.

« Ici, les conditions de vie des réfugiés sont extrêmement dures. Les familles sont en transit. Le pays a pris des règles strictes. Les pères n’ont pas le droit de travailler et les enfants sont déscolarisés. Les lieux d’accueil sont exigus. Il y a donc de fortes tensions au sein même des camps. »

 

Vers de nouvelles collaborations

Dans ces cas d’urgence humanitaire, SOS Chrétiens d’Orient organise l’aide matérielle et alimentaire, mais intervient également auprès des enfants. « Ces jeux sont une bouffée d’air. Les bénévoles jouent aux cartes avec eux. Comme tout est traduit, ça se fait facilement. On constate d’ailleurs que c’est bien plus facile de faire comprendre les règles d’un jeu de cartes que celles du rugby par exemple ! », souligne ­François-Xavier ­Gicquel.

D’autres collaborations sont en cours de réflexion, notamment avec SOS Méditerranée, afin que les jeux soient disponibles sur l’Aquarius, bateau de sauvetage à destination des personnes migrantes. « Nous avons envie de travailler ensemble. L’idée est de pouvoir donner les jeux dans l’une des pièces dédiées aux femmes, aux mères et aux mineurs non accompagnés », espère Élise.

Un article de Ysis Percq

Votre responsable de pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe