Chassés de Mossoul,

les chrétiens racontent leur calvaire

Paris Match

Les djihadistes de l’EIIL ont instauré un califat au nord de l’Irak et de la Syrie. Mi-juillet, du jour au lendemain, ils ont chassé les chrétiens de la deuxième ville d’Irak.

 

« Mes deux petits pensent que nous campons pour les vacances, confie Sarah, vendredi 1er août. Mais Daniel, mon aîné de 5 ans, ne cesse de nous demander pourquoi nous sommes partis brusquement de chez nous et s’inquiète à l’idée de manquer la rentrée scolaire, en septembre. Il est si inquiet qu’il refuse de manger et souffre d’anémie. Je n’ai plus d’espoir. » Sarah n’est pas le vrai nom de cette « femme au foyer » qui, en l’occurrence, n’en a plus.

 

Comme tous ceux qui nous ont confié leur témoignage, hormis les prêtres, elle a exigé l’anonymat, encore terrorisée par les djihadistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL, Daech en arabe), qui ont pris Mossoul, la deuxième ville d’Irak le 10 juin. Même ici, à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, protégée par ses propres forces armées, les peshmergas. Mais les 5 millions d’habitants de cette province semi-autonome accueillent déjà un million et demi de réfugiés venus du reste de l’Irak ou de Syrie. 

Irak
Type d'intervention

Et tout autour règne un sanglant chaos.

 

Le 17 juillet, dans sa chambre à coucher, Sarah prépare les valises. Elle et son mari ont décidé de s’éloigner quelque temps de Mossoul. Comme ils l’ont déjà fait à plusieurs reprises depuis la chute de Saddam Hussein en raison des violences qui déchirent le pays. Lorsqu’ils ont pris cette grande ville du nord de l’Irak, le 10 juin, les hommes d’EIIL se sont empressés de rassurer la population. Majoritairement sunnite, celle-ci s’est d’abord réjouie de ne plus subir les injustices du gouvernement central, qui favorise outrageusement les chiites.

 

Jusqu’au jour où le chef de ces nouveaux vainqueurs, Abou Bakr Al-Baghdadi annonce l’établissement d’un califat sur les territoires conquis en Irak et en Syrie. Il se proclame au passage « le calife Ibrahim ».  Un titre qui en ferait le commandeur de tous les croyants de la planète. Sunnites, il va sans dire. La seule vraie foi à ses yeux. Et de massacrer les musulmans chiites, ces hérétiques. Et d’inonder son territoire de fatwas…

 

Ainsi qu’aux talibans d’Afghanistan, la musique lui donne de l’urticaire. « Ses hommes ont brisé les instruments du collège où mon mari enseignait le violon et l’oud, raconte Sarah. Comme tous les fonctionnaires chrétiens, il a perdu son travail. C’est pour cela que nous nous préparions à partir…» Le 17 juillet, la jeune femme pliait un minuscule tee-shirt de son fils de 2 ans quand son portable a sonné. Au téléphone, la voix affolée d’une amie musulmane : « Fuyez immédiatement ! » Elle a entendu parler d’un ultimatum aux chrétiens : se convertir à l’islam, payer une taxe spéciale, partir, ou mourir. L’impôt serait de 500 dollars par an et par personne. Une fortune. Terrifiée, la famille laisse les valises, saisit une poignée de vêtements et file en voiture vers Erbil, à 90 kilomètres à l’est. Adieu maison, jardin, piscine… Sarah nous raconte son calvaire jeudi 31 juillet – par écran interposé, via le logiciel Skype. Son chignon laisse apparaître de minuscules boucles d’oreilles. « Daesh n’a pris ni notre argent ni nos bijoux, précise-t-elle, mais ceux qui sont partis après nous ont été dépouillés. Nous avons eu de la chance. »

 

Cette « chanceuse » et les siens survivent sur des matelas avec près de 130 autres personnes au sous-sol de l’église syriaque orthodoxe Oum Nour (Mère de lumière), à Erbil. Avec l’aide de ses fidèles, eux-mêmes enfuis de zones irakiennes violentes depuis 2003, le père Matti se démène pour les milliers de malheureux venus frapper à sa porte. A 73 ans, il trouve logements, nourriture, soins médicaux… Un père courage, comme tous ses comparses de la plaine de Ninive.

 

Dans cette zone arabe voisine du Kurdistan, une poignée de bourgades chrétiennes ont survécu jusqu’au 7 août, sous la protection des peshmergas kurdes. Sunnites eux-aussi, mais ennemis des djihadistes de l’EIIL. Ainsi Karamless. En novembre 2010, juste après le massacre dans la cathédrale de Bagdad, nous y rencontrions des civils armés, patrouillant pour protéger les habitants des attaques islamistes. Les jeunes filles se rendaient à la messe en pouffant, vêtues de jeans slims et de talons aiguilles. Vendredi 1er août 2014, c’est un vieil homme au visage affligé qui nous conte son calvaire. Daniel, 78 ans, a lui aussi fui Mossoul. A la sortie de la ville, quatre hommes d’EIIL, dûment vêtus de noir, lui ont fait signe de s’arrêter : « L’un d’entre eux me demande nos papiers, si poliment que j’ai cru que tout allait bien se passer. Après avoir lu sur nos cartes d’identité que nous étions chrétiens, il nous a demandé de sortir du véhicule, m’a fouillé, puis a exigé que nous jetions à ses pieds tout notre argent et nos bijoux. Comme il se doutait que ma femme et mes filles avaient caché nos économies sur elles, il a précisé qu’en cas de désobéissance, il les ferait mettre à nu par une soldate. Elles se sont exécutées en le suppliant de nous laisser la vie sauve. Nous avons perdu ce que j’avais mis de côté ma vie entière. Et même nos alliances. Mais ils m’ont laissé la voiture, une Datsun datant de 1982, trop vieille pour eux sans doute…»

 

Jusqu’au bout, les fanatiques conserveront leur ton froidement courtois, comme s’il s’agissait d’un contrôle de routine. L’épouse de Youcef reste traumatisée par tant d’implacable cruauté. Son mari s’efforce de ne pas céder à la terreur. Nostalgique, il évoque l’immense poirier de son jardin : « J’aimais tant profiter de son ombre…» Il regrette l’époque du roi Fayçal II, et celle de Saddam Hussein. Il rêve d’offrir un logement aux siens et de finir paisiblement ses jours à en Irak, qu’il aime tant.

 

A Qaraqosh – principale ville chrétienne de 55 000 âmes – une première série de bombardements a terrifié les habitants en juin. Presque tous sont partis en un après-midi. Restaient quelques centaines de personnes, les prêtres et Mgr Yohanna Petros Mouche, archevêque syriaque catholique : « Mon rôle n’est pas de communiquer la panique, mais le courage, nous dit-il. Un pasteur doit risquer sa vie pour le bien de ceux qui lui sont confiés. » Ensuite, la plupart des habitants sont revenus. Et 550 familles, réfugiées de Mossoul. Durant des semaines, les églises ont organisé les secours. Presque plus d’eau ni d’électricité, dont les approvisionnements avaient été coupés par les djihadistes. Sous un soleil de plomb – plus de 40 °C à l’ombre – circulaient des camions-citernes. On creusait des puits profonds, dont un, financé par l’association française SOS Chrétiens d’Orient.

 

Leila, 56 ans, s’y était réfugiée. Samedi 2 août, elle sourit quand j’admire son joli carré blond : « Mais si vous m’aviez vue avant… Je suis coquette. » Infirmière à Mossoul, elle a découvert, un matin, l’église Saint-Ephraïm dépourvue de sa croix et affublée d’un drapeau noir portant la mention : « Il n’y a de dieu que Dieu ». Elle a fui à l’aube du vendredi 18 juillet, en taxi, avec sa sœur. «Ils nous ont tout pris, même nos portables. » Depuis, ses collègues musulmanes l’appellent régulièrement pour exprimer leur compassion. Et leur fureur envers les hommes en noir. Au marché, ils leur ont déclaré qu’elles devraient désormais se voiler le corps, visage inclus. Dans les vitrines, les mannequins, y compris masculins, sont masqués. Toute représentation humaine est péchée. La deuxième ville d’Irak, construite sur l’emplacement de l’ancienne Ninive, capitale de l’empire assyrien au VIIe siècle avant Jésus-Christ, était connue pour l’excellence de son université, ses ingénieurs, ses poètes…

 

Ces jours-ci, tous les livres, hormis le Coran, sont brûlés en place publique. Des étudiants s’efforcent d’en sauver en les dissimulant. Interdit de regarder la Coupe du monde, une « distraction idolâtre », ou même de mélanger concombres et tomates dans un même cabas. La population enrage. Sur les maisons des chrétiens, marquées d’un « N », pour « Nazaréen », par les sbires du calife, des musulmans prennent le risque d’inscrire : « Nous sommes tous des chrétiens ». Des images semblables sont devenues virales sur Facebook, partout en Irak. Accueillie en libératrice, EIIL tient plus Mossoul que par les larmes. Et par les armes. Dans la nuit du 6 au 7 août, elle a repris l’offensive et vidée toute la plaine de Ninive de ses habitants chrétiens. Encore sous le choc de leur expulsion de Mossoul, les réfugiés ont dû reprendre la route en catastrophe avec ceux qui les avaient accueillis.

Votre responsable de pôle

Pauline Visomblain

Responsable des relations presse

SOS DANS LES MEDIAS