Benjamin Blanchard : « Les réfugiés ont avant tout besoin de lits, de nourriture, et de lait maternisé »

L'Incorrect

La semaine dernière, SOS Chrétiens d’Orient a dépêché deux équipes aux frontières de l’Ukraine, afin de venir en aide aux réfugiés. Le directeur général de l’association, Benjamin Blanchard, est présent sur place. Entretien.

Vous avez détaché deux équipes aux frontières de l’Ukraine, une en Moldavie et l’autre en Hongrie. Comment s’organisent-elles ?

Nous sommes arrivés il y a huit jours. Je dirige l’équipe basée en Moldavie, et François-Xavier Gicquel (directeur des opérations) dirige celle basée en Hongrie. Chaque équipe est composée de trois personnes. L’équipe en Hongrie mène des actions à et autour de Léopol (Lviv) et Kiev. Tandis que nous, depuis la Moldavie, nous rendons dans le Sud-ouest de l’Ukraine, à Odesse (Odessa) et ses environs.

Pourquoi vous être rendus sur place ?

Il est vrai que l’Ukraine ne fait pas partie de notre zone d’action habituelle (le Moyen et Proche[1]Orient, le Caucase et l’Afrique de l’Est), mais au vu de la situation humanitaire, nous avons estimé nécessaire de nous y rendre, ne serait-ce que pour évaluer les besoins. Ici en Moldavie, il y a 2,8 millions d’habitants pour 110 000 réfugiés ukrainiens. Vous imaginez ce que cela représente en matière de logistique pour accueillir cette population.

Les réfugiés sont-ils bien accueillis par la population moldave ?

Oui très bien. Le gouvernement a débloqué des moyens et tout est mis en œuvre pour qu’aucun Ukrainien ne dorme dehors. La population s’est naturellement mobilisée, il y a vraiment une belle réaction. Je vois beaucoup de volontaires notamment des jeunes, et des associations œuvrant dans divers domaines, qui se sont repositionnées afin d’aider les réfugiés. Les Ukrainiens sont accueillis partout où il y a de la place : dans les maisons de retraite, les paroisses, les hôtels, les orphelinats, les maisons de jeunes, les gymnases, etc. Et c’est heureux, car encore la semaine dernière, les températures étaient négatives. De ce que je sais, l’accueil est le même en Hongrie.

Quels sont les manques ?

Justement, il manque des lits, des matelas, des machines à laver, des sèche-linges. Mais surtout nous faisons face à une pénurie de lait maternisé. Déjà la Moldavie n’est pas un grand pays, et surtout elle importait jusqu’alors son lait maternisé de Russie, d’Ukraine et de Biélorussie. Le temps que les importateurs moldaves trouvent de nouveaux canaux d’approvisionnement, il faut des dons. De notre côté, nous essayons de pourvoir aux besoins de certains centres d’accueil, notamment les besoins en nourriture. Nous avons aussi passé une commande pour 15 lave-linges et sèche-linges, que nous distribuerons aux différents centres de réfugiés. À l’intérieur de l’Ukraine, nous intervenons à Odesse et ses environs. Rien que ce mardi, nous avons trois donations, dont une pour l’hôpital d’Odesse : produits d’hygiène, lampes-torche, nourriture en conserve, etc. Également, une donation à une association qui distribue plus de 400 repas par jour.

Qui sont précisément les Ukrainiens qui arrivent en Moldavie ?

Principalement des gens d’Odesse et de ses alentours, puisque c’est très proche de la frontière moldave. Il n’y a pas, à l’heure où nous parlons, de combat dans cette zone. Donc pour le moment, je n’ai pas croisé d’Ukrainiens ayant souffert des combats. Les gens ont fui en prévision de ce qui pouvait se passer. Comme les hommes ont interdiction de quitter le pays (ils sont « mobilisables » mais pas encore mobilisés), ce sont des femmes, des enfants et des vieillards qui passent la frontière. La plupart est d’ailleurs russophone, mais aucun ne se réjouit de l’invasion russe. En étant très euphémistique, je dirais qu’il n’y a chez ces gens aucun enthousiasme à se retrouver sous juridiction russe.

Vos équipes sont-elles exposées aux combats ?

Pas celle que je dirige ici en Moldavie. En revanche, l’équipe basée en Hongrie le sera puisqu’elle se rend à Kiev.

Vous appelez à des dons financiers plutôt que matériels ?

Tout à fait. Nous ne sommes pas en capacité d’entreposer des dons matériels, ni de gérer des convois de camions et de leur faire passer les frontières. Nous avons besoin de dons financiers pour passer des commandes, comme les quinze lave-linges et sèche-linges que nous allons répartir entre les différents centres de réfugiés, également pour acheter du lait maternisé qui manque cruellement.

Quelles pourraient être selon vous les conséquences humanitaires de cette guerre à moyen terme ?

Il y a d’abord des conséquences immédiates, notamment pour l’Arménie. Un gazoduc qui approvisionnait tout le pays et qui passait par le Haut-Karabagh, a mystérieusement explosé en zone azerbaïdjanaise. L’Azerbaïdjan, qui occupe désormais le territoire, empêche les équipes arméniennes de venir le réparer, et n’envoie aucune équipe pour le faire. Puisque le monde a les yeux rivés sur l’Ukraine, l’Azerbaïdjan en profite pour intensifier ses attaques contre la république d’Arménie, et pour laisser les Arméniens mourir de froid, sans que cela n’émeuve personne. L’Arménie est pourtant un État souverain, mais visiblement le respect de certaines frontières n’importe pas aux institutions européennes.

À court et moyen terme, il y a des pénuries très inquiétantes dans tout le Moyen et Proche-Orient. D’abord, il y a eu des sanctions contre le blé russe, puis des sanctions réciproques, ce qui a complètement perturbé le commerce du blé. La Russie a bloqué ses exportations de blé, y compris envers ses alliés, notamment en Arménie. Mon collègue en Arménie me disait qu’il n’y avait plus de farine dans les magasins. Impossible donc d’acheter de la farine pour faire des donations. Au Moyen-Orient, le prix du pain et de l’huile de tournesol commence à augmenter. La Russie et l’Ukraine à elles seules produisaient 85 % du commerce mondial d’huile de tournesol. Tout cela est très inquiétant et va fragiliser des pays déjà très instables, qui sortent de la guerre comme l’Irak et la Syrie, qui subissent une très grave crise sociale comme le Liban et l’Égypte, ou encore l’Éthiopie en pleine guerre civile. Sans même parler de l’augmentation des prix du carburant.

Un article d’Aurore Leclerc

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Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe