Benjamin Blanchard, directeur général de SOS Chrétiens d’Orient, réagit aux récents attentats sanglants au Sri Lanka et rappelle l’importance de la menace qui pèse communauté chrétienne dans le monde entier.
L’organisation État islamique a officiellement revendiqué les terribles attentats qui ont ensanglanté les Pâques Sri lankaises. Rappelons que l’on dénombre plus de deux-cent morts et plus de cinq-cent blessés, frappés dans trois églises et divers hôtels de luxe. Le bilan, effroyable, s’explique par le fait que les kamikazes se sont fait exploser au milieu de la foule des fidèles célébrant la Résurrection. Que Daesh soit réellement à la source de l’attaque ou qu’il ait récupéré cette action à la manière d’une franchise terroriste importe peu. L’origine du mal est sourcée.
Depuis la défaite de l’État islamique au Proche-Orient, l’idéal du califat bat de l’aile. Mais ses partisans se rabattent sur une stratégie du chaos qui annonce une multiplication des actions terroristes à l’échelle planétaire. Nul n’est à l’abri.
J’en veux pour preuve l’inutilité stratégique absolue, outre l’horreur qu’inspire le terrorisme, des attentats contre les chrétiens du Sri Lanka. Dans ce pays de 21,5 millions d’habitants, les chrétiens, apparus au début du XVIe siècle, représentent approximativement 8% de la population. Ils n’ont jamais exercé le moindre pouvoir politique. Ils cohabitent plus ou moins facilement avec une majorité cinghalaise bouddhiste assez éloignée de l’imagerie hollywoodienne ou du Dalaï Lama, et des hindouistes tamouls, qui réclamaient jusqu’à récemment un Etat indépendant dans le nord du pays. Ces deux groupes ethniques et religieux, qui représentent 80% de la population, sortent d’une guerre civile cruelle, qui a duré de 1983 à 2009.
Dans ce conflit, les chrétiens ont toujours joué un rôle conciliateur pour favoriser un accord de paix entre bouddhistes et hindouistes. Les musulmans, eux, représentent 10% de la population, parmi lesquels des sectateurs du groupe islamiste NTJ (National Thowheed Jamath,apparemment lié à Daesh), et qui auraient perpétré les attentats.
Pour les chrétiens comme pour les musulmans du Sri Lanka, les enjeux politiques sont nuls. Ethniquement ou religieusement, ils ne peuvent espérer exercer le pouvoir. La concurrence politique entre eux n’a pas lieu d’être. On reste donc ébahi devant ce déchaînement de haine sans motif autre que celui, peut-être, du nihilisme, d’une haine religieuse pure, relevant de la rivalité mimétique, ou d’une inspiration liée au « djihad mondial » prôné par l’État islamique.
A cet égard, on peut logiquement craindre une multiplication des attaques islamistes de ce type, sur l’ensemble de la planète, puisque l’internationale djihadiste incarne incontestablement une face sombre de la mondialisation. Les attentats sont directement liés aux diasporas présentes sur les pays cibles, ils sont inspirés ou valorisés par des fanatiques sur les réseaux sociaux. Les candidats au terrorisme peuvent trouver des conseils, voire une aide logistique via Internet. Il suffit désormais d’une étincelle, d’un groupe islamiste – voire d’un individu isolé ! – décelant une opportunité, pour provoquer un massacre de plus ou moins grande ampleur à n’importe quel endroit du monde. Le tout étant téléguidé ou récupéré par la franchise « État islamique » ou « Al Qaïda », à la manière d’une grande marque étendant son maillage de succursales.
On sait que ces deux groupes islamistes sont les fruits blets d’une vision fondamentaliste de l’islam sunnite inspirée (et abondamment financée) par le wahhabisme venu des pétromonarchies du Golfe et des invasions américaines de l’Irak en 1990 et 2003. L’instabilité provoquée par l’éclatement final de l’Etat irakien, l’absence de projet politique valable pour ce pays en ruines, ont permis aux groupes islamistes armés de proliférer. Ils ont vite tenté de substituer leur ordre à celui du nationalisme arabe, discutable à bien des égards, mais jusqu’alors porteur de stabilité. Leur discours est facilité par la rancœur née de l’injustice du traitement de l’occupation israélienne des territoires palestiniens.
Pour beaucoup, la « communauté internationale » autoproclamée par l’ONU, l’OTAN et les puissances occidentales proches des Etats-Unis, pratique un « double standard », notamment en faveur d’Israël. L’État hébreux se permet en effet de piétiner les résolutions des Nations unies (comme au Liban), voire d’annexer des territoires au mépris du droit international. Israël a également provoqué, par ses interventions militaires, l’exode de centaines de milliers de réfugiés qui, pour certains, ne peuvent pas rentrer sur leur sol depuis soixante ans. C’est par exemple le cas des réfugiés palestiniens au Liban, qui sont un facteur de déstabilisation de toute la région. Parmi les ennemis de ces islamistes qui exploitent ce « double standard », outre les Américains et les juifs se trouvent aussi les chrétiens, les yézidis, mais aussi les chiites, les alaouites, les druzes, les ismaéliens, certains sunnites… Bref, tout ce qui n’est pas parfaitement aligné sur le modèle du califat de Mahomet au VIIe siècle.
Un peu partout sur la planète, l’idéologie islamiste met en danger les autres groupes ethniques ou religieux. Au Proche-Orient, les chrétiens ont frôlé la disparition pure et simple dans certains pays.
En Irak, après les persécutions de l’organisation Etat islamique, la fuite dans les camps du Kurdistan d’Irak, ils reprennent lentement pied dans leurs villages, reconstruisent leurs maisons et peuvent raisonnablement espérer un avenir meilleur.
En Syrie, ils sont reconnus comme des citoyens à part entière et bénéficient de lois non indexées sur la charia, loi islamique. Ils sont donc à l’abri en zone gouvernementale bien que des inégalités légales subsistent puisque, selon la constitution en vigueur, la charia reste la source principale du droit et que le président de la République arabe syrienne doit obligatoirement être musulman et de sexe masculin.
En Turquie, en revanche, ils sont au bord de la disparition, à cause d’une politique d’éradication menée et assumée par l’Etat avec une étonnante constance depuis le début du XXe siècle, comme si la disparition des chrétiens était une cause nationale dépassant tous les clivages politiciens, un peu comme la lutte contre le cancer ou la sécurité routière en Europe…
Ajoutons qu’en Turquie, les chrétiens souffrent d’une double discrimination, car, outre la religion, ils sont aussi, le plus souvent, membres de minorités ethniques, à la différence du Liban de la Syrie où, à l’exception des minorités arménienne et syriaques, ils font partie de la majorité ethnolinguistique.
En Afrique, les chrétiens souffrent également, principalement sur l’axe Sahel-Sahara, en Mauritanie, au Niger, au Mali et bien sûr au Nigeria, où sévit le groupe islamiste Boko Haram. Les attaques terroristes se combinent avec les guerres et rivalités ethniques qui restent une des motivations principales des conflits dans cette région. Les chrétiens sont notamment la cible de pillards musulmans d’origine peule ou foulanie, qui n’hésitent pas à tuer en pratiquant des razzias sanglantes légitimées par le djihad.
Aujourd’hui, l’Egypte est un nouvel espace de développement pour le terrorisme. Après ses défaites cinglantes en Irak et en Syrie, c’est là que le groupe Etat islamique cherche à refaire surface. Ici, malgré un nationalisme arabe fort, Nasser avait laissé les Frères musulmans islamiser la société à la base, même s’il les jetait régulièrement en prison. Ses successeurs Anouar el-Sadate et Hosni Moubarak ont maintenu cette dangereuse tradition de la carotte et du bâton afin de se maintenir au pouvoir. Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, le général al-Sissi affiche une politique plus claire à l’égard des islamistes. En 2017, il leur a envoyé un message limpide en faisant bombarder les bases djihadistes pour punir les massacres de chrétiens coptes décapités sur une plage de Libye. Hélas, depuis plusieurs mois, l’on déplore en régulièrement des attentats islamistes en Egypte.
Le 28 avril, les chrétiens coptes y célébreront Pâques (selon le calendrier julien). Après la tragédie du Sri Lanka, nous prions pour que le sang ne coule pas à nouveau. Pour tarir la source du mal, il faut évidemment agir sur le plan humanitaire et politique. Mais il faut aussi prier. Prier pour que les musulmans éclairés prennent un jour le dessus sur les fanatiques et procèdent à une réforme de leur religion, afin de favoriser une cohabitation harmonieuse entre toutes les communautés.