Artsakh : le grand silence

Front Populaire

OPINION. Alors que le monde entier a les yeux rivés sur le terrible conflit qui se déroule en Ukraine, l’Artsakh a toutes les raisons de craindre le désintérêt international pour
ses souffrances.

Quand on se souvient que c’est en profitant de l’accaparement de l’actualité par les élections américaines que l’Azerbaïdjan a envahi l’Artsakh, en septembre 2020, la question se pose : est-ce que Bakou est en train d’utiliser la situation pour renouveler et empirer son agression ?

Depuis le début du conflit en Ukraine, les habitants d’Artsakh, petite république autoproclamée et peuplée d’Arméniens, craignent les mouvements de l’armée d’Azerbaïdjan, dont les soldats se massent à leurs frontières.

Arménie
Type d'intervention

Des mouvements de troupes sont observés dans la région de Ganja, tout le long de la frontière. Le 20 mars, le président azerbaïdjanais inaugurait une nouvelle base militaire à la frontière, à Madaghis. Les tirs, menaces et intimidations augmentent. Des villages frontaliers sont bombardés, harcelés par les mortiers. Le gazoduc qui assurait l’approvisionnement de tous les habitants en gaz a été mystérieusement saboté, privant pendant 11 jours la population (110 000 personnes !) de chauffage et d’eau chaude, alors que les températures sont encore négatives la nuit. Du 8 au 19 mars, l’Azerbaïdjan a empêché les Russes de réparer le gazoduc, avec des excuses piteuses qui confinaient à la provocation et l’ignominie.

Le gouvernement azerbaïdjanais n’est plus à une provocation près, qui semble jouir, nonobstant ses mensonges, d’une impunité internationale proche du blanc-seing. Aujourd’hui, alors que les Ukrainiens sont sous le feu des bombes et des projecteurs, le drame que vivent les Arméniens d’Artsakh est totalement laissé de côté. Qui doute que certains esprits en Azerbaïdjan ne songent déjà à en profiter ?

Non content de terroriser la population, qu’ils enjoignent chaque jour, en hurlant dans des haut-parleurs, de quitter l’Artsakh, l’Azerbaïdjan poursuit son travail d’épuration ethnique, sans être inquiété. Depuis la fin de la guerre de 44 jours, en novembre 2020, l’UNESCO n’a toujours pas pu mettre les pieds dans les territoires conquis par l’Azerbaïdjan. Que sont devenus les trésors architecturaux qui s’y trouvaient ? Seul Dadivank, merveille de pierre du IXe siècle, coincée entre les nouvelles frontières de la république d’Artsakh, a obtenu de bénéficier d’une protection russe. De même, rappelons que les frontières de l’Artsakh sont placées sous la double surveillance des militaires russes et azerbaïdjanais, et les frontières avec la Turquie sont protégées par l’armée russe. Mais pour combien de temps ?

Mobilisés en Ukraine, les Russes se resserrent sur la défense de leurs intérêts. Ainsi, ils ont annoncé cesser toutes leurs exportations de blé. En Arménie, depuis plusieurs jours déjà, on ne trouve plus de farine dans les magasins. Qui se soucie du calvaire de cette population, menacée à ses frontières, harcelée depuis le génocide de la fin du 20e siècle, meurtrie, appauvrie ?

Depuis le début du conflit ukrainien, le président Macron s’est entretenu à plusieurs reprises avec le président azerbaïdjanais Alyiev, afin d’assurer l’approvisionnement en gaz de l’Union européenne, qui transitera par la Turquie. Les intérêts énergétiques auront-ils définitivement raison de ce qu’il reste de l’Arménie ?

Sylvain Tesson est l’une des nombreuses personnalités à tirer la sonnette d’alarme, rappelant que le drame de ce qui se joue en Arménie nous concerne en premier lieu. Loin des considérations économiques, souvenons-nous, avec l’écrivain, des liens qui nous unissent au Royaume d’Arménie, « échauguette de la civilisation occidentale ». Souvenons-nous qu’il faudrait avoir l’âme bien corrompue pour délaisser l’Artsakh et abandonner ses enfants au bruit des canons et des privations. Plus que jamais, nous devons affirmer qu’il en va de l’Artsakh comme d’une cause essentielle à nos cœurs, n’en détournons pas les yeux !

Une tribune de Benjamin Blanchard

Votre responsable de pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe