"Aujourd'hui, Mhardeh peut revivre en paix, enfin."
Après huit ans sous la menace terroriste djihadiste, au plus près des combats, constamment bombardée, Mhardeh, à la suite de la récente avancée de l’armée syrienne, est désormais hors d’atteinte. Mhardeh la chrétienne, a été toutes ces dernières années, l’un des lieux dans lesquels se sont investis les volontaires de l’association SOS Chrétiens d’Orient. Son chef de mission en Syrie, Alexandre Goodarzy accepté de répondre à nos questions.
Pouvez-vous nous décrire la situation de Mardeh depuis le début de la guerre ?
Alexandre Goodarzy : Mardeh, Muaardah en arabe, est une petite ville de 23 000 habitants au début de la guerre, qui n’en compte plus que 16 000 aujourd’hui. Au sud-ouest de la poche d’Idleb, elle était située sur la ligne de front, à quelques centaines de mètres des combats, parfois jusqu’à un kilomètre, parfois littéralement assiégée.
Sa situation géographique, dominant une hauteur lui a donnée un intérêt stratégique et lui a permis de tenir tout au long de ces années. Les affrontements étaient de l’ordre de la guerre de position. L’armée syrienne ne pouvait auparavant repousser cette ligne de front car elle devait s’occuper de reconquérir les autres poches rebelles disséminées dans le pays à Damas, Deraa ou Deir-Ezzor. Lors des évacuations de ces poches au fur et à mesure de la reconquête de ces provinces, les combattants rebelles et djihadistes exfiltrés passaient presque devant les fenêtres des habitants pour rejoindre Idleb.
Mardeh a du se défendre seule durant cette guerre.
Comme de nombreuses villes importantes de Syrie était l’objet de combats qui accaparaient l’armée syrienne, Mardeh a du se défendre seule durant cette guerre. Elle était à portée de missiles, de canons, de mortiers, qui visaient les quartiers de la ville de façon indiscriminée dans le but de toucher des civils circulant dans les rues passantes. Elle a monté un groupe de défense populaire avec l’autorisation de l’armée. Simon Al Wakil, un entrepreneur fortuné de Mardeh, aurait pu prendre son visa et partir avec sa famille se réfugier à l’étranger.
Il est devenu le meneur de cette défense populaire en mettant tous ses biens à la disposition de cette résistance. Il l’a lui-même organisé afin de protéger sa famille, sa maison, la ville et ses habitants. Il a été le coordinateur contre l’armée syrienne, les russes et les iraniens sur le front de Mardeh. L’armée a donné les moyens militaires aux combattants de Mardeh pour défendre la ville avant qu’elle puisse enfin intervenir pour la dégager des menaces qui pesaient contre elle. Aujourd’hui Mardeh peut revivre en paix, enfin.
Il n’y a que des chrétiens dans ce village ?
Les habitants sont des chrétiens grecs orthodoxes. Au début de la guerre les chrétiens étaient vus comme faisant partie de l’élite, donc possédant beaucoup d’argent, ce qui a amené la défiance de beaucoup de syriens. Les communautés musulmanes des villages d’à côté lorsqu’elle en avaient l’occasion venaient effectuer ces razzias sur les villages chrétiens. Chrétiens qui étaient souvent pris en otage contre rançon.
Tous les chrétiens soutiennent-ils Assad ?
Au début de la guerre, il y a eu des manifestations dans tout le pays de la part de Syriens qui incarnaient un mécontentement social. Quand une semaine après, on entend comme slogan dans les manifestations, « les alaouites au tombeau, les chrétiens à Beyrouth », puis la semaine suivante, « élargissez le tombeau des alaouites pour y mettre les chrétiens dedans » le choix a été vite fait. En cas de chute de Bachar Al-Assad, la Charia allait être imposée et les minorités éradiquées. Très rapidement, cette contestation est devenue religieuse. Au départ les contestataires sunnites ne visaient que les alaouites. Il disaient aux chrétiens, « ne vous en mêlez pas, c’est entre nous et les alaouites ». Puis très rapidement des djihadistes du monde entier sont arrivées et n’ont pas fait de détail en ciblant également les communautés chrétiennes. Le djihadiste qui débarque de Lybie, du Qatar ou d’ailleurs ne fait aucune différence, il ne connaît pas les gens du pays il n’est là que pour tuer du mécréant.
En revanche, les syriens qui sont devenus djihadistes alors que voisins des chrétiens ne leur étaient pas forcément hostiles. Mais ils se sont montré complices des djihadistes étrangers. Certains musulmans se sont fait tuer parce qu’ils refusaient des tuer des chrétiens. Face à cela, on ne peut que vouloir rester loyal à Bachar Al-Assad. De nombreux Syriens en veulent à la révolution syrienne pour avoir trahi ses promesses initiales. Ils pouvaient contester le pouvoir au départ et ont vu que l’alternative ne résiderait que dans la Charia.
Politiquement il va falloir faire des gestes de part et d’autre car personne n’est modéré aujourd’hui en Syrie, encore moins après huit années de guerre.
Or, beaucoup de Syriens ont vu les ravages que les djihadistes ont commis en Irak de l’autre côté de la frontière et refusaient de les voir étendre leur pouvoir en Syrie. Les chrétiens qui crachent encore sur le gouvernement sont ceux qui ne sont pas revenus dans le pays depuis des années et qui ne connaissent pas ce que vient ceux restés en Syrie. Ils peut y avoir en revanche des chrétiens syriaques orthodoxes qui vivent dans la Djaziré, au nord-est de la Syrie et qui soutiennent le projet de Kurdistan syrien en étant opposé à Bachar Al-Assad. Mais je doute fort qu’aucun chrétien vivant en zone djihadiste adhère à leur projet. La dernière femme chrétienne vivant encore dans la poche d’Idleb dont j’ai eu connaissance a été retrouvée violée et brûlée à coups de cigarettes au visage.
Une réconciliation est-elle possible à terme entre Syriens de différentes religions ?
Ca arrivera forcément. On parle déjà d’accords de réconciliation et d’amnistie dans les zones libérées par l’armée. Les principaux chefs terroristes eux sont arrêtés et à mon avis exécutés mais ceux qui n’ont pas pris une part active dans les activités terroristes et qui n’ont pas trop de sang sur les mains peuvent être réintégrés dans l’armée ou les services de renseignement. Cette réintégration ne fait pas plaisir à tout le monde et peut faire grincer des dents mais c’est ainsi. C’est une réintégration et une réconciliation forcée mais c’est ainsi que l’on procède pour mettre fin à toutes les guerres civiles. Politiquement il va falloir faire des gestes de part et d’autre car personne n’est modéré aujourd’hui en Syrie, encore moins après huit années de guerre.
Quelle est l’action de SOS Chrétiens d’Orient actuellement ?
On fait beaucoup de reconstruction, notamment auprès des quartiers chrétiens de Homs mais aussi de certains musulmans, à Maaloula, à Alep et on a commencé à la reconstruction à Mardeh. A Maaloula, on a un projet de vigne et du culture de l’épice du Soumak. sur plusieurs années. On a également beaucoup de projets culturels et éducatifs ou sociaux, on donne des cours de Français, d’Anglais d’Italien à Homs ou à Damas. A Alep, on donne même des cours de dessin et de musique. Pendant un temps on s’est aussi occupé des personnes handicapées. Lors des plus violents combats on faisait aussi de l’humanitaire d’urgence en apportant, couvertures, médicaments et nourriture et en rétablissant l’eau et l’électricité.
Désormais on est davantage dans la reconstruction, avec des projets agricoles ou artisanaux. Nous restons une quinzaine de militants qui travaillons actuellement en Syrie, après avoir vu entre 400 et 500 volontaires venir nous aider. Mais sur notre action en cinq ans dans tout le Moyen-Orient, au Liban, en Irak en Egypte ou en Jordanie, c’est plus de 2000 volontaires de Chrétiens d’Orient qui sont venus aider les populations sur le terrain depuis la création de l’association. Nous sommes principalement subventionnés par les dons de Français, qu’ils soient chrétiens ou non, mais se sentent concernés par ce que vivent les populations de ces pays-là.
Un article de Romain Demars