Tribulations d’un Français en Ukraine

Dans la continuité de l’action humanitaire menée par SOS Chrétiens d’Orient en Ukraine et dans les pays limitrophe, Iseult responsable des volontaires de l’association m’a proposé ainsi qu’à Arthur Lanternier chef de mission Liban et Hadrien ancien volontaire au Liban de venir relever la première équipe dirigée par Benjamin Blanchard, Gautier, responsable sécurité et Célia ancienne volontaire en Arménie. Ayant moi-même à titre personnel, beaucoup d’affinités avec le monde slave, j’ai donc, sans hésiter, sauté dans le premier avion pour Iassi en Roumanie pour rejoindre Kichinau capital de la Moldavie.

Arrivé en Moldavie depuis une quarantaine d’heure seulement, notre contact sur place Sergiu, responsable d’un centre pour réfugiés, nous demande de nous occuper d’une livraison d’aide d’urgence à Odesse.

L’avant-veille du départ, un mélange d’excitation et d’appréhension s’empare de moi. Odesse, plus grand port de la mer noir, est encerclée depuis plusieurs semaines par la flotte russe. Épargnée depuis le début de la guerre, la ville a vu affluer, par centaines de milliers, les familles des déplacés des villes d’Ukraine situées à l’est du Dniepr. Les besoins humanitaires y sont colossaux, surtout que les pénuries alimentaires y sont de plus en plus fréquentes.

Le matin à l’aube, après une longue prière consacrée aux familles ukrainiennes et placée sous la protection de Saint Michel Archange saint patron de l’Ukraine, nous nous empressons de rejoindre Sergiu, pour préparer la livraison.

Sur place de jeunes volontaires moldaves viennent nous aider. Artiom, jeune étudiant de 18 ans, se consacre désormais à plein temps à l’aide des familles de réfugiés. Le regard juvénile, mélange de fatalisme et d’espoir, symbolise en lui seul les sentiments contradictoires qui traversent les populations touchées par cette guerre.

Dans ce vaste océan d’horreur et d’affliction, émerge en chacun d’eux, une profonde empathie source de tous les efforts de solidarité pour accueillir ici et là les réfugiés.

Pendant le chargement du camion, j’entame la conversation avec ce jeune volontaire. L’ambiance est bon enfant. Entre deux trajets, malgré les barrières culturelles, le langage du rire nous aide à communiquer entre nous.

Une fois le camion chargé à ras bord, je prends la route avec Arthur, Hadrien et notre chauffeur Vladislav en direction de Palanca, ville frontalière situé au sud du pays.

Vlad travaille pour le centre de réfugiés de Sergiu. C’est la première fois qu’il retourne en Ukraine depuis la guerre. Peu bavard et anxieux, derrière son visage crispé se cache un homme charitable et dévoué à sa tâche. Car dit-il « La Moldavie est un petit pays, mais ses habitants ont un grand cœur », chaque heure passée ici confirme d’ailleurs cet adage populaire.

La Moldavie s’est jusqu’ici montrée exemplaire dans l’accueil de leurs frères ukrainiens. Un peu partout, des centres d’accueils s’organisent pour accueillir femmes et enfants sans la moindre adversité à l’encontre de ces nouveaux arrivants.

Voici deux heures, que je suis sur la route, quand enfin j’arrive à la frontière.

Au poste frontière rien ne laisse envisager que depuis un mois la guerre a éclaté.

Le magasin de duty free flambant neuf continue à vendre alcool, cigarettes et autres chinoiseries pour guise de souvenirs. Voitures immatriculées en Moldavie et Ukraine se côtoient.

Comme à l’accoutumée, douaniers ukrainiens et moldaves fouillent les voitures et vérifient les passeports. Une fois le tampon apposé, l’Ukraine se découvre. Le contraste est saisissant.

Le long de la route, les champs de blé s’étalent à perte de vue, la terre noire de ses sols en fait l’une des régions les plus fertiles d’Europe. Dans la voiture, règne un lourd silence. Le temps semble figé. Je me laisse à mes pensées, les souvenirs de la route de la Ghouta à la sortie de Damas remontent en moi.

J’entends dans ma tête le bruit de l’asphalte ; comme un parfum de déjà-vu. Je ne peux m’empêcher de croire, qu’un jour tous ces champs aux reflets dorés, tous ces immeubles dressés le long du chemin, connaitront le même sort que le centre-ville de Homs et de Alep ou celui des quartiers environnant Damas.

Car ici comme en Syrie, le même scénario se répète : les points de contrôle entrecoupent la route, souvent tenus par de jeunes soldats au visage encore juvénile.

A l’entrée de la ville, nous sommes rejoints par le député de l’oblast de Limonskoïé. Accompagné de son garde du corps, il tient à nous accompagner, pour faciliter nos déplacements. Il profite de cette rencontre pour parler de sa région et de la situation à Odesse et nous invite à revenir chez lui pour fournir de l’aide aux Ukrainiens qui, faute de moyens, sont obligés de rester sans possibilité de quitter le pays pour se mettre temporairement à l’abri.

 

Aux abords de la ville, les points de passages s’intensifient. Sur la voix d’en face, des centaines de voitures, attendent de pouvoir quitter la ville, sûrement pour passer la frontière. De part et d’autre les habitations s’intensifient, à mesure que nous enfonçons dans l’agglomération ! Les habituels maisons soviétiques côtoient des grands immeubles de styles français et italien de la période baroque et classique.

A l’image de Saint Pétersbourg, la ville fut fondée ex-nihilo en 1794 par Catherine la Grande. Mais c’est sous Alexandre premier, que la ville se développe véritablement grâce aux talents et efforts d’Armand Plessis de Richelieu neveu du fi cardinal, à qui l’Empereur confia la construction puis la gestion. La ville devient au XIXème siècle l’un des principaux ports de l’empire de Russie, servant à l’exportation du blé qui pousse dans les plaines du Dniepr. La ville eut toujours un statut à part dans l’empire. Port cosmopolite par excellence, Odesse a une identité à part entière.

Dehors les rues sont calmes mais la vie continue malgré tout. Vieillards, jeunes écoliers, mère de famille, poussettes à la main, circulent dans la rue, préférant vivre normalement plutôt que de s’enfermer dans leur maison. Après 3h de route, j’arrive enfin avec le reste de l’équipe au centre de donation. Sur place nous faisons la connaissance de Kirill, jeune grand blond à l’enthousiasme déroutant.

Durant la donation, Kirill me fait le récit de son centre, dans lequel il travaille nuit et jour pour venir en aide aux populations. Les besoins en nourriture, pétrole et en médicaments se font vitaux. Sous blocus maritime depuis un mois, la ville ne parvient plus à s’approvisionner en vivre, alors que la demande explose, en raison justement de l’afflux de déplacés en provenance de toute l’Ukraine.

C’est grâce à ces initiatives spontanées et l’aide humanitaire apportées par les ONG, que les habitants parviennent à subvenir à leurs besoins essentiels.

Mais nous devons déjà repartir, car le temps presse et nous devons quitter le pays avant le couvre-feu de 8h.

Je demande une dernière faveur à Kirill : voir le port d’Odesse. J’ai à peine le temps de finir ma phrase que le jeune volontaire est déjà dans sa voiture, la clé sur le contact. Kirill m’emmène voir la statue du marin inconnu, monument au mort construit en 1960 et consacré aux soldats ayant donnés leur vie, durant le siège d’Odessa de 1941. La vue sur le port et la berge est imprenable.

Malheureusement, j’ai à peine le temps de profiter, qu’il est déjà l’heure de reprendre la route. Il est déjà six heures et nous n’avons plus que deux heures pour passer la frontière. Sur le chemin du retour, Vlad regarde frénétiquement son téléphone pour vérifier son GPS. Mais grâce à Dieu, le chemin se fait sans encombre et vers 7h30 nous retrouvons la Moldavie.

Ce court trajet, nous a également permis de prendre pleine de conscience de la situation. Les besoins humanitaires pour le pays sont vitaux.

Pour répondre à cette détresse, SOS Chrétiens d’Orient se tient au rendez-vous. De nombreux projets d’aide sont en cours : tel un projet pour venir en aide à un orphelinat d’Odesse ainsi qu’une livraison de plusieurs tonnes d’aide alimentaire dans la région de Limonskoïé, sans oublier les Ukrainiens réfugiés en Transnistrie et en Moldavie, à qui nous comptons également apporter notre aide. Tout cela n’est possible, sans la générosité de nos donateurs, et de tout ceux qui d’une manière ou d’une autre aide notre association.

Julien, volontaire en Ukraine