Un jour je suis partie, sans trop me poser de questions et je ne suis jamais vraiment revenue.
Une part de moi est restée là-bas, sous l’olivier centenaire d’un monastère, dans le sourire d’une rencontre, sous les voutes d’une église silencieuse où résonne encore ma prière.
Peut-être est-ce la soif d’aventure, la fascination pour les civilisations millénaires, l’Histoire complexe et teintée de drames qui fut à l’origine de ma volonté de partir au Liban.
Lorsqu’on a grandi à l’abri du besoin, avec un idéal scout transmis depuis le plus jeune âge, pousser son engagement jusqu’au volontariat humanitaire m’est apparu comme une évidence, une forme d’aboutissement recherché depuis plusieurs années. Je suis donc partie un jour, sans trop me poser de questions, sans autre objectif que de vivre cet idéal du don de soi continu.
Une voiture qui file dans la nuit à travers Beyrouth endormie, entourée d’inconnus dans un pays inconnu, sentiment d’impuissance et champs des possibles, tout se bouscule dans mon esprit. Quelques jours auparavant, je lisais, fébrile, ces quelques mots dans un mail : » Nous aurions besoin de toi au LIBAN « . J’ai aimé ce pays dès que j’ai vu son nom écrit et chaque jour un peu davantage.
» Le véritable voyage, ce n’est pas de parcourir de grandes distances, (…) c’est de parvenir en un point exceptionnel où la saveur de l’instant baigne tous les contours de la vie intérieure » écrivait Saint-Exupéry et c’est ainsi que raconterai mon expérience avec SOS Chrétiens d’Orient au Liban.
Un quotidien simple, rythmé par des activités variées qui semblent n’être qu’une goutte d’eau dans un désert de solitudes, de misères, de vies à reconstruire et qui pourtant fera peut-être germer de l’espoir et apportera beaucoup de réconfort.
J’ai vécu ma mission comme une succession d’instants de grâce à saisir avant qu’ils ne m’échappent : La prière récitée avec la douce Joséphine, si fragile et rendue si forte par les épreuves et l’usure des années ; le regard profond de gratitude teinté de tristesse des libanais rencontrés lors des donations ; le rire partagé avec Michel au centre des handicapés de Baitna ; le geste précis transmis entre deux sourires de gourmandise avec Mme Marie la cuisinière ; les mots pleins de sagesse des prêtres en bure sombre et tant d’autres moments partagés. Et comme une voleuse du temps j’ai capturé et enfermé précieusement dans ma mémoire chaque scène du film de notre vie de volontaire au pays du cèdre, chaque saveur nouvelle, chaque émotion, chaque tableau de vie et de paysages.
J’ai trouvé chez les libanais ce que nous avons oublié peut-être en France et que leur contexte leur impose : une forme de résignation et de confiance en Dieu face aux problèmes de leurs pays qui se traduit par une culture de l’instant présent. Chaque jour se vit intensément car personne ne sait de quoi sera fait l’avenir et tout prend une dimension différente. Est-ce du déni ou plutôt la véritable sagesse ?
« Pourquoi ressasser le passé et s’inquiéter du futur, il faut penser à Dieu maintenant, être des enfants de la lumière de la Foi dans le présent » m’a dit le Frère Rock lorsqu’émue je faisais mes adieux au si beau monastère maronite Notre-Dame-de-Tamish.
Chaque jour, saisir l’instant, se remplir les yeux et le cœur de la beauté des paysages si contrastés, de la vie grouillante des rues, des chants résonnants dans les églises, de la profondeur des regards qui racontent une histoire au-delà de la langue, des moments partagés avec les autres volontaires et donner le meilleur de soi – même juste pour aujourd’hui, et demain encore mieux qu’hier si Dieu nous donne la force.
J’ai appris aussi l’importance du sourire échangé, de la simple présence. Partir avec un idéal de laisser une trace tangible, un chantier fini, une personne tirée enfin de la pauvreté, un projet abouti, est, en réalité illusoire, quoique réalisable. J’ai appris que la beauté du don de soi c’est de ne pas laisser de trace, peut-être même pas un souvenir, mais juste d’être là à l’instant précis où l’on a besoin de nous, et offrir un sourire qui s’effacera, désherber encore et encore le jardin qui refleurira, couper les oignons pour des dizaines de plats qui seront vite avalés.
J’ai appris à simplement écouter, sourire, et partager, une photo, une référence commune, une plaisanterie, une poignée de main, un repas, un regard.
L’importance de l’être plus que de l’agir car mon sourire à travers mes yeux embués aura peut-être apporté un peu de lumière ce soir où je me suis assise dans le petit salon obscure de Rita qui n’avait pas manger depuis deux jours et à qui nous avons offert un plat chaud ; ou encore à l’hôpital psychiatrique de la Croix, où un peu de joie et de tendresse adoucisse la vie de ces libanais torturés par leurs maladies, leurs traumatismes. Sourire et faire oublier les murs qui leur servent de prisons autant que leur esprit, les conditions terribles de leur internement et au-delà du dégout, rire, danser et offrir un peu de son âme, de sa paix intérieure, pour une heure, deux heures, qui ne sont rien dans une vie de souffrance, mais qui ont du sens juste parce qu’elles sont vécues et partagées.
Alors, comme beaucoup d’anciens volontaires, je me dis qu’un jour sûrement, je retournerai au Liban, et lorsqu’on me demande « tu as aimé le Liban ? » je réponds avec la plus grande sincérité que oui, j’ai aimé. J’ai aimé ses couleurs, ses odeurs, sa population. J’ai aimé la manière dont il m’a fait évoluer et grandir. J’ai aimé découvrir l’histoire d’un pays dont je ne connaissais rien et qui m’inspire de plus en plus.
Dans mon témoignage de début de mission, je me rappelle avoir écrit que dès mes premiers instants à Beyrouth, j’avais voulu tout observer, tout écouter, m’empêchant de dormir en voiture pour ne rien perdre de l’essence de la capitale. Aujourd’hui, je peux dire que les bouchons beyrouthins auront eu raison de ma fatigue, mais que ma curiosité n’a jamais cessé, et même de retour en France, je veux continuer d’en apprendre sur ce pays qui m’a tant apporté.
En trois mois, je n’ai certainement qu’entrevue la richesse historique, culturelle, religieuse du Liban. Mais l’important n’est pas de vouloir tout comprendre, c’est juste de saisir à la volée ce que la Providence daigne nous offrir à cet instant de notre vie.
Je suis partie quelques mois et j’ai eu l’étrange sensation d’avoir vécu mille vies en entrant dans celles des autres. Et maintenant quelle est celle qui m’attend ?
Je remercie tous les membres de SOS Chrétiens d’Orient qui m’ont permis de vivre cette aventure unique, chaque libanais rencontrés qui m’ont accueilli chaleureusement. Je remercie tout particulièrement mon chef de mission Thibault Wallet, Ramy Nader et les salariés de la mission pour leur confiance et leur accompagnement bienveillant au quotidien.
Je remercie également tous les volontaires de la mission Liban qui ont croisé ma route pour leur accueil, leur simplicité et tous les moments partagés. Merci à Balthazar, Anne, Blandine, Quentin, Florence, Colin, Paul, Louis Nicolas, Axel et enfin Armelle pour leur confiance et leur amitié rayonnante. »
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Clothilde, volontaire au Liban
Responsable des volontaires