Porter secours à 1300 familles du Sud-Liban.

Le chapelet suspendu au rétroviseur de la voiture danse au rythme des mouvements de la voiture. La route est sinueuse et déserte à travers la vallée, l’air est lourd, l’équipe est silencieuse. Il est bon d’avoir ce signe de Dieu devant les yeux pour nous rappeler qu’Il nous protège… quoiqu’il arrive.

Nous sommes dans la région du Sud-Liban, en direction des villages frontaliers avec Israël, et bordés de la Méditerranée, au cœur d’une zone sous contrôle du Hezbollah.  

Entre les forces armées israéliennes et le Hezbollah, ça chauffe, depuis des années déjà… Israël fait peser sur son voisin libanais un climat anxiogène en multipliant les attaques ciblées et les ripostes.

Alors, pris entre deux feux, les villageois tentent, générations après générations, de survivre. Sur cette terre fertile, propice à l’agriculture, inondée de soleil et baignée par la pluie, les Libanais vivent de la culture des olives, du thym, des fruits et de l’élevage du bétail.

Seulement, une nouvelle fois, cet automne 2023, les bombes pleuvent et arrosent les champs, le phosphore brûle les arbres et empoisonne les terrains, les cultures sont ruinées pour cette année. La peur gagne les cœurs et beaucoup fuient vers Tyr, Sidon ou Beyrouth.

En réponse à cette situation dramatique, SOS Chrétiens d’Orient débloque en urgence des fonds exceptionnels en novembre 2023 pour pourvoir aux besoins alimentaires de 1300 familles chrétiennes de 21 villages libanais près de la frontière Sud.

A l’instar de Gautier Vallade, responsable de la sécurité, je suis missionnée pour réaliser un reportage de cette nouvelle opération d’urgence. Sans hésiter et pleinement consciente des risques, je rejoins l’équipe à Sidon, dans l’entrepôt de stockage alimentaire. La pièce est emplie de sacs de féculents et de condiments, de boîtes de conserve et de bouteille d’eau. Plusieurs tonnes de nourriture sont à répartir en milliers de colis.

 

De braves hommes sont déjà à l’ouvrage d’ailleurs, silencieusement. L’un dépose cinq conserves de thon par carton, et l’autre le sachet d’un kilo de boulgour. Seront ensuite rajoutés les haricots blancs et les fèves, les pois-chiche, l’huile de tournesol et d’olive, le zaatar, le sucre, le fromage, le lait en poudre, les spaghettis, les lentilles rouge, les pâtes et le riz. Cela devrait permettre à chaque famille de s’alimenter pendant deux semaines.

« Nos frères au Sud-Liban souffrent énormément de la guerre. Leur quotidien, ce sont les frappes aériennes, le bruit assourdissant des bombardements et des tirs. Obligés de rester cloîtrés chez eux pour éviter de se faire tirer dessus, ils ne travaillent plus et trouvent difficilement de quoi se nourrir et s’hydrater. Un Libanais est mort en allant chercher de la nourriture pour ses enfants, un autre alors qu’il roulait à scooter, un troisième a été bombardé dans son van, » nous confie le directeur de l’entrepôt.

C’est difficile à imaginer. A Beyrouth ou ici, on ne ressent pas de telles tensions. Les restaurants battent leur plein, les écoles sont animées, les églises sont ouvertes et vivantes. Comment un tel contraste peut coexister dans ce pays de la taille d’une région française ?

Au terme de plusieurs heures d’empaquetage, trois camions sont chargés de colis floqués du logo de notre association. Arthur Lanternier, chef de mission au Liban, mène le convoi. Il est accompagné de Karen Achkouty, responsable des projets de l’association au Liban.

En chemin, il m’explique que des organisations mondiales humanitaires sont censées agir aussi dans la région, mais les tensions sont telles qu’elles ont cessées leurs actions.

Notre mission commence à Al-Qlei’a, dans la province de Marjeyoun. Des forêts jonchent les flancs des monts, les champs d’oliviers s’étendent à perte de vue, le fleuve Litani s’écoule dans la vallée. À quelques kilomètres de là se dressent les ruines de la forteresse de Beaufort, un château médiéval construit par les Croisés au Moyen-Age. Le soleil est resplendissant, le vent souffle paisiblement. Ce tableau bucolique contraste terriblement avec les conditions de vie des villageois comme en témoigne Pauline.

« J’habite ici avec mes quatre enfants et mon mari. Nous restons cloîtrés à notre domicile car nous n’avons pas d’autres choix. Au tout début, les enfants sursautaient, maintenant ils s’habituent et comptent les obus et missiles.

Les nuits, nous nous réfugions dans un sous-sol aménagé afin de nous endormir loin du bruit des bombardements car il est assourdissant. Parfois les frappes secouent la maison, c’est effrayant ! Un jour après la messe, un obus est tombé pas très loin, j’ai sursauté, tellement effrayée ! Nous vivons au quotidien et ne pouvons rien prévoir. »

Malgré la trêve en vigueur, nous entendons, au loin, l’explosion de bombes, puis apercevons le halo de fumée qui surgit de la montagne d’en face. Le tir de réponse ne se fait pas attendre, la détonation est plus forte. Je prends véritablement conscience que je suis au cœur d’un affrontement terrible. Cet épisode ne freine en rien notre activité frénétique. Personne ne semble accorder le moindre intérêt à ce qui vient d’advenir.

Alors, inlassablement, village après village, nous déchargeons les colis que des pères de famille, quasi muets, viennent récupérer. J’imagine que la colère est là, au fond d’eux, enracinée ; une colère liée à l’injustice, une injustice qui pourrait déchirer l’âme et le cœur. Et pourtant, non, ils n’ont pas l’air en colère, la charité et la bonté se lisent sur leurs visages, point de haine. Ils sont mus par la foi.

« Nous n’avons peur de rien car nous sommes les fils de la foi et de l’espérance. Nous ne craignons rien car nous sommes confiants que Jésus est avec nous. » La force de Soeur Mona, religieuse de la congrégation franciscaine Saint-Padre-Pio du village de Kawkaba, est contagieuse et porte à l’admiration, comme celles de tous ces Libanais restés pour lutter, rester pour vivre tout simplement.

Sur la place de Saint-Charbel, sur les hauteurs du village de Debel, c’est un vieux monsieur en fauteuil roulant qui témoigne : « J’ai 86 ans, cela fait 40 ans que suis dans ce fauteuil roulant, j’ai été blessé par les balles israéliennes. Malgré tout ce qui s’est passé à Debel, je ne quitterai mon village que les pieds devants, je veux mourir à mon domicile. Je suis reconnaissant de votre gentillesse. La France est la mère du Liban. »

Ces Libanais menacés quotidiennement de mort ont un attachement viscéral à la terre, cette terre qui les a vu naître, cette terre de leurs ancêtres. A l’injustice, ils opposent une résilience édifiante et une humilité exemplaire. Ils méritent tant.

Aujourd’hui me voilà revenue en France et je peux témoigner de ce que j’ai vu. Alors que le doute gagne le Sud et que chaque jour une étincelle pourrait embraser la région, ces Libanais ont besoin de vous, de vos prières. Aujourd’hui ne les oublions pas et comme eux, opposons la Foi aux fracas des armes.