Les écoles catholiques du Liban

dépendantes de la solidarité chrétienne

Valeurs Actuelles

Président de l’association française SOS Chrétiens d’Orient, Charles de Meyer s’est rendu au Liban immédiatement après l’explosion du port de Beyrouth. Il confie avoir découvert un pays au bord du gouffre. Entretien.

Par Charlotte d’Ornellas.

Valeurs Actuelles. Vous avez choisi de rejoindre vos volontaires sur le terrain juste après l’explosion. Pourquoi ?


Charles de Meyer. D’abord, parce que j’ai une affection personnelle pour ce pays dans lequel je passe beaucoup de temps depuis la création de l’association, dans lequel j’ai des amis – dont certains ont été victimes de l’explosion, et dans lequel enfin je suis des projets.

LIBAN
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Ensuite, parce que l’association SOS chrétiens d’Orient, accorde énormément d’importance à son engagement d’avoir des volontaires sur le terrain, qui partagent le quotidien des quartiers chrétiens de Beyrouth. Une partie de l’appartement a donc été abîmé et nous avons donc eu un fort ressenti personnel et humain de cette catastrophe. Il y avait également une nécessité évidente de travail pour continuer à apporter des réponses aux populations que nous aidons. Ce que nous craignons depuis longtemps est entrain d’arriver, et cette explosion a aggravé les choses : nous constatons au Liban ce qui se passe ailleurs dans la région, c’est-à-dire une nouvelle forme de persécution qu’est l’incitation à l’émigration. Nous ne voyons pas cette situation comme une fatalité socio-économique mais bien comme une persécution qui ne dit pas son nom.

Que voulez-vous dire par « persécution » ? Qui en est responsable ?
Ce que j’entends dire des chrétiens libanais, depuis longtemps, c’est qu’il y a par exemple une forme de disproportion entre leur contribution à l’impôt et la somme reversée par les institutions publiques aux régions dans lesquelles ils vivent majoritairement. Cela vient aggraver un problème lancinant, celui de l’imposition au Liban, de la présence de plusieurs centaines de milliers – si ce n’est d’un million – de réfugiés syriens qui forment un poids exorbitant sur les infrastructures, l’immobilier et l’harmonie de la société libanaise.

Je ne vois pas comment la communauté internationale peut espérer participer à sortir le Liban de la crise profonde dans laquelle il est plongé si la question du retour rapide de ces personnes dans leur pays d’origine ne fait pas l’objet de l’accompagnement international qu’elle mérite depuis déjà longtemps. Briser cet équilibre communautaire national et religieux au Liban, c’était mettre en danger la place des chrétiens et l’économie toute entière du pays.

Enfin, la persécution n’est pas que physique, elle peut également être psychologique. Les grandes puissances ont trop longtemps considéré le Liban comme leur terre d’affrontement. Les Etats-Unis, Israël, l’Iran, les monarchies du Golfe ne peuvent pas prétendre aider le pays du Cèdre si elles ne cessent pas de considérer sa population et son territoire comme les animaux de laboratoire de leurs expérimentations politiques. Les chrétiens libanais sont les premières victimes de cette suspension de facto de la souveraineté de leur pays.

Vous avez l’habitude de venir au Liban, avez-vous trouvé un pays changé cette fois-ci ?
J’ai trouvé les habitants particulièrement changés. Beaucoup d’entre eux sont passés de la crainte au désespoir avec cette explosion qui vient s’ajouter à une situation déjà catastrophique. J’ai noté un appauvrissement sensible dans l’ensemble des classes sociales, mais plus particulièrement encore dans cette classe moyenne dont les chrétiens sont le ciment. Ils ont l’impression d’être en permanence entre l’enclume et le marteau, et commencent à douter du sens personnel et familial qu’il y a à rester au Liban. Pour parler concrètement, nous constatons que de nombreux Libanais qui refusaient jusqu’à maintenant l’aide charitable que nous proposons sont désormais obligés de l’accepter pour ne pas sombrer dans la misère.

Autre chose a changé : nous avions tous le sentiment récurrent d’une absence de l’Etat lorsque nous traversions le pays, mais elle était largement compensée par des formes d’organisation de la société civile. Les Libanais bénéficiaient du travail des associations, des églises, des écoles… Or ces corps intermédiaires sont gravement mis en danger par les effets de la crise, de ses effets socio-économiques qui seront forcément aggravés par l’explosion du port. Ce qui permettait de suppléer aux défaillances de l’Etat est entrain de s’affaisser également.

Enfin, je constate un autre changement : les effets néfastes de l’absence de souveraineté du Liban sur ses 10452 km2 relevaient bien souvent du discours, c’est désormais un problème extrêmement concret dont la population entière souffre dans sa chair.

Je trouve en revanche quelque espoir dans la structuration du message politique porté par les gens qui manifestent et que nous connaissons parfois très bien. Mais là encore, il ne faut pas pécher par naïveté : la structuration de ce discours risque d’ouvrir la porte à la matérialisation des antagonismes entre manifestants.

Quel rôle joue SOS Chrétiens d’Orient dans cette situation ?
L’association a d’abord eu un rôle de réponse à l’urgence évidemment. Cette urgence a pris deux visages : celui du déblaiement des rues et des endroits nécessaires à une vie sociale normale (écoles, hôpitaux, caserne de pompiers…), mais également celui d’une aide alimentaire d’urgence puisque nous avons immédiatement débloqué un budget de 30.000 dollars (soit 19 tonnes de nourriture) pour les familles les plus nécessiteuses.

Cette première étape signifie que nous voulions pleurer avec ceux qui pleurent. Mais notre vocation au Liban est avant tout de participer à l’enracinement des chrétiens, c’est pourquoi nous sommes entrain de développer deux programmes en parallèle.

Le premier pour participer à la réfection des appartements, afin d’offrir aux familles qui n’en ont pas les moyens de pouvoir restaurer leurs vitres pour que les enfants n’aient pas froid cet hiver, des portes pour protéger leurs foyers ou des petits électroménagers afin de faire la cuisine.

Le deuxième est celui de notre mobilisation pour soutenir les écoles confessionnelles pour que celles qui n’ont pas été intégrées au programme annoncé par Emmanuel Macron – et qui sont souvent des éléments essentiels de la vie des villages qui se situent aux périphéries du Liban – puissent continuer à faire leur œuvre d’éducation.

Enfin, tout cela doit rester en cohérence avec les projets que nous avons développés depuis cinq ans maintenant, notamment avec l’association Al Nawraj de Fouad Abou Nader, et qui font de l’enracinement rural des chrétiens un objectif. Nous travaillons activement afin que leur exode vers Beyrouth ne soit pas la première étape d’un chemin qui les amènerait à quitter le pays.

A ce titre nous avons fait un choix déterminant après l’explosion, celui de conserver l’ensemble de nos antennes ouvertes pendant que d’autres équipes répondaient aux besoins d’urgence à Beyrouth.

Ce plan matériel est évidemment soutenu par notre conviction profonde : le soutien aux chrétiens d’orient en général, et aux chrétiens libanais en particulier, ne passera que par la renaissance de notre union spirituelle, notamment à travers la prière des familles pour les chrétiens du Liban.

Beaucoup de chrétiens affirment aujourd’hui vouloir quitter le pays en raison d’une crise économique atroce. Quelle espérance ?
Mon premier élément d’espérance vient de l’histoire nationale des chrétiens du Liban : il suffit d’avoir mis un jour les pieds dans la vallée sainte, ou prêtres et patriarches se sont protégés pendant des centaines d’années des assauts de certaines tribus musulmanes qui avaient pour ambition de faire disparaître cette îlot de chrétienté, pour comprendre. Je crois que les Libanais puiseront les forces nécessaires au maintien de leur présence dans la réactualisation de ce trésor de courage et de vertus.

Le deuxième signe d’espérance, c’est la mobilisation de beaucoup de jeunes libanais, quelles que soit leurs confessions, qui arrivaient souvent du reste du pays pour prêter main forte aux victimes de l’explosion du port de Beyrouth. Je crois que c’est par le souci de cette génération qui s’engage, et qui n’attend aucune consigne pour rebâtir ce qui doit l’être, que la société libanaise peut trouver la force de redonner à son pays la place qu’il tient de tout temps dans le Proche Orient.

SOS Chrétiens d’Orient insiste tout particulièrement sur son rôle de soutien à ces initiatives locales proposées par des Libanais et pour des Libanais. L’association se méfie en revanche de toute ingérence qui amènerait immanquablement à une déflagration des intérêts rivaux des parrains communautaires, qui abîment le Liban en avivant les dissensions. A chaque fois que cela est possible, nos volontaires travaillent main dans la main avec des Libanais afin que ces derniers, par le partage de leurs principes et de leurs mœurs, les guident vers la réponse la plus adaptée possible.

La France vous semble-t-elle avoir un rôle particulier à jouer ?
Il est évident que la France a tout son rôle à jouer dans ce pays. Il y a une vaste différence entre une amitié millénaire et l’ingérence. Quand j’entends l’ancienne puissance occupante turque attaquer le Président Emmanuel Macron pour sa visite au Liban, je comprends au moins partiellement l’émotion suscitée dans le pays par la visite du Président français. Il faut raison garder, même les critiques les plus acerbes du président en France comprendront aisément que les chrétiens du Liban tournent leurs regards vers Paris plutôt que vers Ankara. A nous de leur montrer que nous les aiderons en vérité et dans le respect de leur dignité, à la notable différence de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, rêvent de briser l’exception libanaise.

Votre responsablede pôle

Jeanne der Agopian

Directrice de la communication adjointe