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“Nous ne vivons que pour découvrir la beauté. Tout le reste n’est qu’attente.”
Khalil Gibran

S’il est des âmes qui croient avoir pu toucher des yeux la beauté véritable par la fréquentation de paysages divers et variés, il en est peu cependant qui ont eu l’occasion d’admirer, un jour de juillet sous un franc soleil libanais, la splendeur immaculée de la Vallée sainte. Tel fut le privilège des cinq volontaires de Tripoli sous la conduite assurée du Père Bechara, prêtre maronite à El-Mina.

Arrivés aux aurores sur les flancs de la Qadisha, « vallée sainte » en syriaque, nos pas nous mènent d’abord sur ceux du dernier ermite vivant au Liban. Cinq Européens en quête de l’incarnation vivante du christianisme des premiers temps. L’image est belle même si la porte de l’ermitage demeure close. Son habitant est-il simplement absent ou bien ne souhaite-t-il pas voir sa retraite volontaire troublée par notre venue ? Nous frappons, hélons, tambourinons mais seule la force du silence répond à nos tentatives.

Cette déconvenue ne nous émeut guère et nous avalons rapidement les quelques lieues qui nous séparent du monastère Notre-Dame de Qannoubine, où nous accueillent chaleureusement les sœurs maronites qui l’occupent. Qannoubine, mot d’origine grecque, signifie « vie commune ». Si l’étymologie est plaisante, l’histoire est glorieuse. La tradition rapporte en effet que ce monastère fut fondé à l’initiative de l’empereur Théodose le Grand au IVème siècle, quand l’empire romain vieillissant embrassa officiellement la religion chrétienne. Plus encore, instruits par le Père Béchara, nous apprenons que ces murs lovés au creux de la roche, abritèrent le siège du patriarcat maronite pendant quatre siècles. Bravant guerres et persécutions, les patriarches ont ainsi pu trouver en ces murs un réduit sûr, sous la protection de la Vierge couronnée par la Trinité, thème principal de la splendide fresque qui orne un des flancs de l’église. En cette bâtisse sacrée adoubée par les siècles, nous prenons véritablement conscience que l’histoire est toujours jeune quand elle porte témoignage d’un moment de grandeur.

Nos pas nous mènent ensuite à l’ermitage troglodyte de Saint-Elisée, qui offre à nos regards le spectacle plaisant d’une architecture dansant avec la nature. Ainsi, tandis que nous arpentons couloirs et escaliers de bois, nos mains frôlent tantôt murs faits de mains d’hommes, tantôt parois rocheuses polies depuis le commencement du monde. Ce décor singulier facilite l’évocation des heures de gloire de l’ermitage, de la vallée et des grottes qui en écument les flancs par centaines. Nous apprenons ainsi d’un prêtre français rencontré par hasard que ces cavernes abritèrent des milliers d’ermites dès l’aube de la chrétienté et qu’aucune ne demeurait longtemps vides de prières et méditations, puisqu’un ermite plus jeune prenait aussitôt la place de celui que la mort avait frappé. A travers le bruissement des feuilles d’oliviers sous la brise légère, nous pouvons presque entendre l’écho des prières égrenées depuis l’Antiquité tardive par ces hommes en quête d’absolu. Nature sauvage où passe le souffle exaltant de l’idéalisme des chrétiens d’Orient.

Comme pour donner corps à ces récits, nous découvrons bientôt le village de Beqaa Kafra, dont l’altitude élevée n’a d’égal que la ferveur inspirée par celui qui y vit le jour. Ici naquit en effet saint Charbel, moine et ermite maronite du XIXème siècle, vénéré dès après sa mort dans tout le Liban par chrétiens et non chrétiens, puis finalement canonisé en 1977. Au détour d’une ruelle tortueuse nous croisons cinq villageois assis. Leur visage s’éclaire d’un franc sourire lorsque nous les saluons, enchantés qu’ils sont de voir des étrangers visiter leur pays en ces temps troublés.

Nous nous recueillons dans la maison natale de saint Charbel transformée en chapelle, puis dans l’église qui jouxte la grotte où, enfant, il priait en paissant les troupeaux de son père. Partout la même face radieuse du saint libanais s’offre à notre regard. Ce portrait, nous y sommes habitués, trône en bonne place dans toutes les maisons chrétiennes du pays. Néanmoins, foulant ce sol que Charbel foula, frôlant ces bâtisses qui lui étaient familières et arpentant ces ruelles où sa vocation prit racines, nous ne regardons plus un homme mais admirons désormais la face d’un saint dans l’écrin qui le porta aux sommets de la vie spirituelle. On croirait presque voir le visage d’un patriarche de l’Ancien Testament, tant il respire la noblesse, la sérénité et le mysticisme oriental.

Depuis les environs du village, nous apercevons en contrebas des clochers majestueux qui se dressent fièrement au milieu d’un bourg chatoyant sous un soleil déclinant. C’est Bcharré, village chrétien qui vit naître Khalil Gibran, célèbre poète libanais. Faut-il s’étonner que le voisinage d’une nature sauvage et le contact des moines de la Qadicha aient suscité l’inspiration poétique d’un enfant du pays ?

Le jour finissant, nous désirons découvrir les cèdres de Dieu, un des derniers vestiges de l’antique forêt qui couvrait le sommet du Mont-Liban aux temps bibliques. Au creux d’un vallon, nous pénétrons dans le repère des géants sacrés, tandis qu’une senteur suave de conifères nous environne. Avançant aisément sur les chemins balisés, nous évoluons au milieu de centaines d’arbres de stature gigantesque, dont certains ont parfois deux mille ans. Confrontés à leur masse imposante et à leur âge vénérable, nous nous sentons comme des nains face à des créatures mythologiques d’un autre temps.Aucun cèdre, cependant, n’est plus admirable à nos yeux que celui que grava Alphonse de Lamartine en 1832. A la place d’une inscription nous découvrons en effet un arbre naguère foudroyé puis sculpté par Rudy Rahmé. L’artiste libanais, peu après la guerre civile, figura ainsi le Christ en croix.

Le soleil se couche sur la vallée sainte, et, sur la route nous menant à Tripoli, cette dernière image demeure dans nos esprits. Elle est le symbole terrible de ce pourquoi nous sommes volontaires au Pays du cèdre, celle de cet arbre multiséculaire jadis vigoureux et respecté du monde, mais depuis peu frappé par la foudre et agonisant tel le Crucifié, bientôt ressuscité.

Sylvain, volontaire au Liban.

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